Et la République a pu s'appliquer dans un vaste pays.
Les
Français défendent la liberté de la presse, pour diffuser les Lumières et
stimuler l’esprit public. Ils ont un programme social proche de celui que
défendait Jefferson (liberté de commerce, abolition de certains principes
aristocratiques, …). La Révolution
Américaine est vue en France, comme un grand évènement mais comme elle n’est
pas assez rationaliste, on y voit une promesse inaccomplie. On a donc cette
admiration de la part de la France, large mais partielle car inaccomplie.
Souhaitant aller plus loin que leurs prédécesseurs américains, on peut y
trouver l’origine des divergences entre les deux Révolutions.
Au tout début de la
Révolution Française, dans les débats de l’assemblée Constituante, on fait
souvent référence à la révolution américaine d’autant plus lorsque les Français débattent de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. En effet, l’Amérique a su
dépasser la tradition anglaise et a compris que la liberté ne pouvait se fonder
que sur des principes universels.
Quelques réserves
existent quand même, notamment concernant le Bill of Rights qui selon eux n’a pas su suivre
un ordre rationnel. Les Américains, pour les Français, vivent déjà dans
l’égalité. Au contraire de la France, où l’on vit dans un contexte historique
lourdement chargé en inégalités sur le plan social (Aristocratie, bourgeoisie,
…) et sur le plan politique (avec un absolutisme fort). Les déclarations américaines reconnaissent des principes universels
mais pensent les appliquer uniquement aux citoyens américains. Les
Américains n’ont pas su développer complètement des droits véritablement
universels. On trouve bien la liberté de conscience, ou des droits pour les
étrangers, mais à chaque fois c’est présenter comme une conquête des Américains
qu’ils vont appliquer dans leur pays, pas au-delà. Ces critiques ne viennent
pas uniquement des Libéraux de l’époque, certains Modérés craignent une
excessive dynamique des droits. Pour certains en France, les droits ne
s’appliquent pas uniquement à l’échelle individuelle mais sont aussi un outil
politique qui doit transformer la France. Il
fallait donc aller plus loin que les Américains dans les droits car les USA bénéficiaient d’un territoire où la société
était partiellement égalitaire, quand en France, l’histoire avait fait un
contexte très inégalitaire.
C’est
dans un contraste assez profond entre les traditions française et américaine
qu’on va voir les différences politiques entre les deux pays. Les Américains avaient eu un conflit avec
le Parlement anglais, cultivant une grande défiance à l’égard du pouvoir
législatif. Du coté français, c’est l’inverse, il a fallut créer un régime
représentatif qui n’existait pas. Les Français ont donc transférer à
l’Assemblée les attributs du souverain. En même temps, dés
1789, ils ont ouvert la voix à une extension indéfinie de leur logique,
risque pour l’Etat (pas compris). Le
pouvoir accordé à la loi est donc central en France tout en ayant une logique
des droits de l’homme pouvant s’étendre indéfiniment. Du coup, la prééminence de la loi en France met de coté la notion de checks and balances. Ce pouvoir accordé
au législatif est longtemps demeuré en France jusqu’au principe de
constitutionnalité instauré en 1848.
Mais dans les faits, le conseil constitutionnel n’a pas eu beaucoup de pouvoir
y compris aujourd’hui. Depuis les années 1970,
il est devenu plus facile de saisir ce conseil et en
2010, on peut remettre en cause une loi qui nous toucherait
personnellement. Dominique
Schnapper l’a décrit dans son ouvrage Une sociologue au Conseil Constitutionnel.
Fédéralistes
et anti-fédéralistes :
L’importance
de la Révolution Américaine vient d’une part de ce qu’elle a contribué à
remettre en cause l’ancien ordre social en adoptant des idées Whigs et en
défiant le Royaume-Uni, grande puissance européenne. Cela vient aussi d’un processus
engagé en 1776 qui donne lieu à une
construction institutionnelle aboutissant à l’adoption de la constitution de 1787, complétée et enrichie par la contribution du
débat autour de la démocratie libérale. En effet, le projet de constitution a été élaboré par une convention réunie à
Philadelphie pour régler les problèmes liés à la faiblesse du régime antérieur
(la Confédération de 1776 à 1787). La
Confédération avait contourné le problème de la souveraineté, elle n’avait pas
réussi à harmoniser les politiques de chaque état américain. De plus les
législatures de chaque état étaient soumis à des pressions des fermiers
débiteurs, des fermiers endettés qui remettaient en cause les droits de
propriété. L’Amérique libre de la
Confédération balançait donc entre une anarchie populaire, ou une forme de
despotisme toujours d’origine populaire. Les représentants de Philadelphie
ont donc voulu surmonter la diversité extrême des structures politiques
étatiques.
Le débat apparaît
donc entre des Américains qui défendent le projet de fédéralisme et leurs
détracteurs (aussi Américains), les anti-fédéralistes. Pour les anti-fédéralistes, il y
a des thématiques communes qu’ils partagent mais ils sont beaucoup moins unis
que les fédéralistes. Les anti-fédéralistes estiment qu’un pouvoir central
risque de centraliser des pouvoirs au détriment des états. Cela pourrait être
dommageable aux tendances aristocratiques du régime américain. Enfin, les
anti-fédéralistes critiquent les conditions institutionnelles de préservation
des libertés. Sur ce dernier point, les anti-fédéralistes ne comprennent pas le
Bill of Rights. Les divisions internes au camp des anti-fédéralistes tendent à
leur donner une position maladroite. Pour
eux, la République n’est possible que dans de petits pays, ils s’opposent donc
à l’accroissement des pouvoirs de l’Union et au gouvernement « trop
complexe » qui découlerait des idées fédéralistes.
Certains
historiens progressistes, comme Charles
Beard, ont démontré que la posture des anti-fédéralistes était très
conservatrice. Pour Gordon S. Wood, cette
posture conservatrice était très problématique pour les anti-fédéralistes.
Cette posture relève d’un attachement pré-moderne de la tradition anglaise, une
conception organique de l’unité de l’Etat. L’Etat serait un organisme avec
un fonctionnement spontané et naturel. Parallèlement, on trouve aussi des
aspects démocratiques et libéraux dans l’opinion anti-fédéraliste.
En
s’attachant au Gouvernement républicain, ils vont pouvoir développer
l’obéissance volontaire à la loi. On a donc deux positions qui
s’articulent : des principes conservateurs et d’autres modernes. Tout cela
se trouvait dans la culture Whig et radicale. Il fallait donc une division du
travail dans le système institutionnel. Selon les anti-fédéralistes, il fallait
appuyer la République sur un système de checks
and balances. Ils reprochaient donc au projet de Constitution un cadre pas
suffisamment démocratique et artificiel car dénué de bases naturelles.
Authentiques
héritiers de Montesquieu,
les fédéralistes développent l’idée de la représentation mixte mais
indépendamment de la représentation organique. Montesquieu change effectivement
la notion de démocratie en développant la notion des trois branches :
exécutif, législatif et judiciaire. Montesquieu détache aussi l’idée de régime mixte
d’une représentation organique. Grâce à cette dissociation, les fédéralistes
permettent l’élaboration d‘une synthèse entre principes individualistes et les
mécanismes institutionnels libéraux.
Adressé aux
électeurs de l’état de New-York en fin d’année 1787,
les fédéralistes rédigent The Federalist,
dans lequel ils défendent leur projet politique. Ils cherchent à montrer que le projet de Constitution ne met pas en
danger le gouvernement républicain, mais au contraire renforce à la fois la
liberté et le pouvoir. Pour démontrer cela, les auteurs vont introduire une
distinction essentielle entre la République et la Démocratie. Leur but en
faisant cela est de démontrer que la république peut se faire dans un grand
pays. Pour Madison,
le problème des anti-fédéralistes c’est que dans leur camp, « On confond toujours une République avec une
Démocratie, on applique à la première des objections tirés de la nature de la
seconde. Dans une démocratie, le peuple s’assemble et gouverne lui-même. Dans
une République, il s’assemble et gouverne par des représentants et des agents.
Par suite, une démocratie doit être bornée à un petit espace, une république
peut s’appliquer dans un grand pays. ». Le régime républicain est
donc plus simple à réaliser que la démocratie au sens antique selon deux
conditions. Le gouvernement d’une république doit tirer ses pouvoirs
directement ou indirectement de la grande masse du peuple. En outre, il doit
être administré par des personnes « qui
tiennent leurs fonctions d’une manière précaire pour un temps limité, ou
tant qu’ils se conduisent bien. ». La
république représentative est donc une forme politique supérieure aux
démocraties du passé (type démocratie grecque antique ou démocratie
italienne de la renaissance). Avec l’invention de la représentation, on
peut réaliser la République. La fondation du régime américain est donc
aussi liée à la critique du républicanisme classique et ancien. Cela se
présente de deux manières : une critique a une base démocratique s’appuie
sur une neutralisation des extrêmes et une dimension populaire. Ces deux
principes sont toujours vivants actuellement.