Relations Europe - Amérique 29 - 11 (cours 5, fin)


Tocqueville himself.




La démocratie selon Tocqueville


Longtemps sous-estimé, Alexis de Tocqueville publie son ouvrage en 1835 et étudie spécifiquement le cas de la démocratie américaine car la France d’alors regarde avec intérêt cette démocratie, qu’elle tente plus ou moins d’imiter. Le premier volume a  connu un certain succès, le second passera inaperçu. Il publiera de manière posthume un ouvrage comparatiste entre les deux cotés de l’Atlantique. Après la mort de Tocqueville, son œuvre est regardée de manière assez distante car lui est un homme sortie de l’aristocratie légitimiste mais qui reconnaît la puissance démocratique. Il fait donc face à une méfiance aigüe des courants conservateurs et des courants socialistes. D’autant plus de méfiance de la part des Socialistes du fait de son origine sociale. La démocratie qui se définit par un renouvellement constant entre la pratique démocratique et sa théorie. C’est un peu le contraire de Karl Marx.
Le succès de l’œuvre de Tocqueville vient de la manière dont il introduit une nouvelle approche de la démocratie. Tocqueville a fait l’objet d’un réinvestissement avec Raymond Aron qui écrit Les étapes de la pensée sociologique, où Tocqueville devient un élément essentiel dans l’établissement de la science sociologique. Il théorise effectivement l’expérience américaine, puis se questionne sur les particularités de l’homme démocratique avant de finir sur ???. Pour Tocqueville, le régime démocratique est un mouvement inéluctable mais qui comporte des risques, l’un est inhérent à la démocratie, le second est d’ordre géopolitique.

Lors de son voyage aux USA en 1831 avec son ami Gustave de Beaumont (un conservateur), Tocqueville doit étudier le système pénitentiaire américain pour établir une comparaison avec la France. Il en profite aussi pour échapper à un régime politique français qu’il n’apprécie pas. Il va considérer la démocratie comme un fait social total dont les conséquences sont diffusées dans toute la société. On a alors là, une approche de la démocratie libérale différente de la problématique classique. En effet, Tocqueville veut comprendre les tendances de la démocratie en elle-même sans se référer aux tendances politiques qu’elle provoque pour un régime monarchique ou aristocratique. Dans son premier livre il déclare vouloir rendre compte de ce fait « fait providentiel », un « fait générateur dont chaque fait particulier semble descendre ».
Séduit par un système mi-fédéral, mi-national, Tocqueville cherche une réponse pour savoir comment réaliser une institution politique pour ??? tout en évitant les maux d’une situation centralisatrice caractéristique de la France ? » (à vérifier). Inspiré par The Federalist, Tocqueville espère que la situation américaine va permettre de réaliser un gouvernement républicain à l’échelle d’un grand pays. Pour lui, ce projet est réalisable puisque cela tient d’un fait absent des républiques anciennes. En effet, à défaut de se réunir sur l’agora, les nouveaux citoyens s’appuient sur des vertus venant de la sphère privée (commerce, échanges, …). On a un nouveau type de démocratie, très éloigné de la démocratie antique ou ancienne. L’égalité des conditions n’est pas étrangère à tout cela, en effet, elle est au cœur des relations humaines et donc du système politique. D’autre part, des traits de la politique américaine proviennent des circonstances particulières que connaît le pays.
Il analyse alors l’omnipotence de la majorité de la démocratie, un risque démocratique où le gouvernement reçoit une force irrésistible puisque tout son pouvoir vient de la société et donc de la majorité. La tyrannie de la majorité à selon Tocqueville des racines plus profonde que le système politique. Le ressort le plus profond du pouvoir de la majorité aux USA c’est la puissance de l’opinion. Les corps intermédiaires entre la hiérarchie et les individus ayant disparus, il n’y a plus de distance entre l’individu et la société : l’individu est directement engagé dans la société. Les dangers de la démocratie américaine ne viennent pas des restes de l’Ancien Régime, mais sont bien inhérents à la démocratie elle-même et à l’égalité des conditions. L’égalisation des conditions détruit les liens anciens de protection et de dépendance des milieux aristocratiques. L’égalité, base de la démocratie, ne peut alors pas faire appel à des modes de régulation. Il faut donc potentiellement trouver des procédures pour créer du lien social entre les hommes sans contredire le principe d’égalité. Il faut dans l’idéal trouver un remplaçant aux anciens systèmes de dépendance. Ces contrepoids au pouvoir de la majorité sont le pouvoir judiciaire, l’institution du jury, la presse, … Autant d’instruments, créés par des individus libres et devant canaliser l’énergie démocratique. En outre, cela favorise la participation à la vie publique.

Si les USA sont bien un modèle démocratique, les Américains ne sont pas pour autant des êtres de la démocratie. En effet, deux autres peuples sont entrés en conflit avec les Américains : les Indiens et les Noirs.
Dans un chapitre sur les races (bien que Tocqueville soit peu d’accord avec les théories raciales de Gobineau, le terme « race » est à l’époque très usité), il démontre que l’expansion de l’Union a conduit à un déracinement violent des Indiens, les poussant à une disparition quasi-totale. Du point de vue américain, les rapports avec les Indiens étaient du domaine des relations internationales. Les Indiens n’étaient pas compris dans la société démocratique sauf qui furent convertis mais ils étaient rares. La supériorité technique des Blancs et la forte incompatibilité entre sociétés indiennes et société américaine les a conduit à la disparition des Indiens.
Les Noirs pour leur part, représentent l’extrême inégalité qui domine dans une société qui revendique pourtant l’égalité. Première conséquence perverse de cette population amenée dans la société américaine par le maintien de l’esclavage, c’est que cela va faire une discrimination visible entre les populations. Il anticipe alors les évènements en considérant que l’affranchissement des Noirs sera plus dur que l’affranchissement antique. De plus l’égalitarisme a pour effet paradoxal de renforcer la volonté des Blancs les plus pauvres à se différencier des esclaves Noirs. On voit donc bien comment la démocratie ne possède pas intrinsèquement le développement du racisme, mais que cela relève bien de conditions de développement propres aux USA.
L’autre problème lié à l’esclavage, c’est la construction d’un ordre très particulier dans les États du Nord et les États du Sud. C’est là une autre menace assez grande pour l’Union, l’opposition entre la société du Nord et celle du Sud. Cette opposition prendra corps lors de la Civil War.

Tocqueville souligne de manière originale qu’avec les notions de liberté et d’égalité, la démocratie développe un dynamisme social qui fait du statut des individus un statut révisable, où le maître et son serviteur peuvent évoluer socialement. Cette « égalité imaginaire » par ses effets est plus importante que les inégalités réelles qui demeurent dans la société démocratique mais qui sont différentes des autres régimes. Ce rapport entre égalité imaginaire et inégalités réelles développe donc une incertitude dans les rapports sociaux.
Tocqueville va comprendre que la société démocratique peut créer des rapports de pouvoir sur ses propres principes. Les libéraux trouvent impossible de limiter la revendication égalitaire à l’égalité des droits, il faut une égalité sociale et cognitive en plus. Mais pour Tocqueville, il demeure un écart permanent entre les principes et la réalité de ce régime.
Le second volume de De la démocratie en Amérique explore systématiquement la tension entre cette « égalité imaginaire » et les inégalités réelles. En effet, la démocratie imprègne le monde intellectuel, modifie les sentiments des Américains et changent leurs mœurs. L’esprit démocratique a introduit l’importance des causes générales. Toutes libertés à l’action supprime le regard sur la conjoncture et ???.
L’approche de Tocqueville fait qu’il discerne un risque important dans l’égalitarisme politique sans pour autant en faire un obstacle inévitable ou insurmontable. L’égalisation sous un pouvoir tutélaire peut parfois aboutir à ??? par privatisation des intérêts et plus généralement, tout ce qui permet de surveiller la production des lois qui peuvent encadrer voir supprimer ???.

Dans son ouvrage L’Ancien Régime et la Révolution, Tocqueville insère une critique du despotisme et de l’esprit révolutionnaire qui sont parfois à l’encontre de la démocratie. Tocqueville possède deux thèses pessimistes.
La première est qu’en France on trouve une continuité entre France d’Ancien Régime et nouvelle France. La Révolution parachève pour lui la centralisation et le nivellement social développés par la monarchie absolue. Développés par les adversaires de la Révolution qui disaient ainsi que cette Révolution n’apportait rien, l’idée est donc reprise par Tocqueville. Les institutions nées de la Révolution ont quand même des spécificités. L’Ancien Régime avait une règlementation minutieuse, rigide et peu applicable concrètement. La Révolution apporte un progrès puisque l’exécution des lois devient plus efficace. Cependant, la Révolution a conservé des dispositifs anciens fortement antilibéraux, donc un potentiel despotisme administratif. La Révolution Française a donc tout de même détruit tout ce qui se rattachait aux institutions féodales.
Autre point, la Révolution est quelque chose d’assez étrange puisqu’elle articule deux traits qui peuvent s’opposer, son radicalisme sans précédent, tout en étant incapable de stabiliser un corps politique. Dés le second régime, l’universalité est inscrit dans les textes français quand les USA soulignaient les traits faisant de la Révolution américaine un cas spécifiquement américain sous bien des points. L’abstraction revendiquée par l’opinion publique éclairée vient de ce que les intellectuels du XVIII° siècle n’avaient eu aucune expérience politique. De plus, les privilèges de la noblesse qui demeuraient depuis des siècles reposaient sur du vent depuis Louis XIV, ils n’avaient plus de réalité tangible. De ce fait, ces privilèges deviennent intolérables pour la bourgeoisie montante. A cela s’ajoute le fait que le plus souvent, les Révolutions naissent quand la situation économique s’améliore, mais pas la situation des libertés. Certains sociologues parlent de ce phénomène comme la « loi de Tocqueville ».
L’originalité mais aussi le risque de la Révolution Française, c’est l’esprit révolutionnaire qui peut parfois prendre le dessus sur l’esprit démocratique.

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