B.
Mécanismes et enjeux : un nouveau colonialisme ?
Parmi les acteurs
nouveaux, un certain nombre d’entre eux sont des fonds d’investissement privés.
Certains journalistes ont souligné l’hypocrisie des pays du Nord qui s’offusquent des méthodes du
Qatar ou de l’Arabie Saoudite alors que, passant par des fonds d’investissement
privés, ces pays du Nord appliquent la même logique.
On
peut prendre le cas de Vitagrain,
entreprise implantée à L’île Maurice. Une société financière de capital-risque
(Itrasia Capital) est aux mains d’un investisseur privé. Cette société contrôle
Vitagrain qui est une société singapourienne d’agro-alimentaire. Vitagrain loue
des terres à l’île Maurice de l’ordre de 500 hectares. Parallèlement, l’île
Maurice sous-loue au Mozambique 20 000 hectares de terres. Vitagrain
produit donc des semences avec des recherches agronomiques à l’île Maurice
avant de faire une production de masse au Mozambique. Le Mozambique sert donc
de réserves de terres. Le riz est ensuite revendu à des sociétés classiques qui
exportent vers le reste du monde (dont l’Australie et Singapour). Ici le
land-grab ne concerne que la location des terres du Mozambique à l’île Maurice,
mais on ne peut comprendre ce land-grabbing que par son amont et son aval.
La pratique du
land-grabbing est un sujet à controverse dans les pays du Nord, de même que
dans les pays du Sud.
Ainsi, la Zambie y trouve un intérêt certain et est favorable à cette pratique.
Le pays est vaste avec 30 à 45 millions de terres arables non exploitées,
l’enjeu est donc grand pour ce pays. En revanche, au Brésil, les cultures de
soja qui détruisent la forêt amazonienne exaspèrent les journalistes
brésiliens. Idem pour le Congo titrant un de ses articles « Les Blancs vont prendre nos terres ! ».
Jacques
Diouf, ancien président de la FAO en 2011 avait parlé du
land-grabbing comme un « néocolonialisme agraire ». Pour lui, il ne s’agit pas
seulement d’un contrat entre deux partenaires. Les deux partenaires ne sont pas
égaux dans ce contrat et les multinationales font pression sur les petits
gouvernements. De plus, une fois le pays ayant accepté le contrat, les
multinationales contrôlent une partie, voire l’ensemble de l’économie agricole.
Pour certains
agronomes, ces parcelles de terres cédées à des multinationales peuvent
permettre de diffuser les techniques depuis ces enclaves de modernité, par copiage ou diffusion
progressive des techniques. De plus, cela crée de l’emploi dans l’agriculture
mais aussi autour de ce domaine (sécurité, …). Pour d’autres, cette vision est naïve puisque ces terres servent à
l’exportation et ne sont pas sur des terres vierges comme disent les
gouvernements africains, mais sur des terres où vivent souvent des populations.
En effet, en Afrique, souvent les terres se régénèrent grâce au système de
jachère. On a l’impression qu’elles sont à l’abandon, certes, mais cela se fait
pour une bonne raison, la régénération de la terre. Exploiter ces terres en
jachère pour l’exportation, c’est risquer in fine de provoquer des crises
alimentaires.
Enfin cette
pratique de la monoculture empêche la biodiversité locale, fait naître de nouveaux
parasites qui s’habituent au climat et deviennent résistants, développe un
usage important de pesticides qui polluent les sols ou encore on a des
expropriations foncières de paysans et de petits producteurs.
IV.
De l’écoterrorisme
à l’agroterrorisme : de nouvelles menaces pour le monde agricole et
alimentaire ?
L’écoterrorisme est
un terme né en Europe pour
dénoncer les pratiques des ONG ou les individus se faisant porte-parole du
monde animal voire végétal. Notamment en Grande-Bretagne, ces associations de
protection ont été jusqu’au sabotage d’entreprises jugées inhumaines pour les
animaux.
Parallèlement, le
terme d’agroterrorisme a émergé se référant à l’écoterrorisme. Il s’agit de détruire des
récoltes en lançant des insectes, d’empoisonner des élevages, … Il s’agit de
l’utilisation délibérée et malveillante de bioagresseurs (agents
phytopathogènes ou insectes phytophages) par un individu, une organisation ou
un État dans le but de provoquer des dommages aux plantes (cultures, arbres,
denrées agricoles, …) ou d’affecter l’emploi qui pourrait en être fait
(production, commercialisation, transformation, consommation, …).
En
réponse certains États qui jugent ce risque élevé (bien que sans application
concrète aujourd’hui encore) ont voté des actes de protection. Les USA sont les
premiers, l’Europe a voté quelques années plus tard un acte similaire.
L'or bleu pour conserver le green vert.
Powerpoint du cours.
Géopolitique
de l’eau
La géopolitique de
l’eau concerne principalement les rivalités dans l’accès aux ressources
hydriques (donc
ni les mers, ni les océans) et dans l’exploitation des installations
hydrauliques. Comme à chaque fois, ces rivalités existent à différentes
échelles : internationale, régionale, locale, humaine, …
En Espagne, l’eau a
toujours été une question importante.
Un temps fut évoqué un détournement des eaux du Rhône pour aller en Espagne,
mais cela ne s’est jamais fait. La chercheuse Marie François s’est alors demandée, si
l’Espagne était mal dotée en eau ou si quelque chose d’autre se cachait
derrière. La sècheresse (période
définie dans le temps où les précipitations sont relativement limitées) et l’aridité (climat où on constate une
faiblesse des précipitations moyennes) existent en Espagne mais sont anciennes.
De plus, la répartition en eau est très inégale sur le territoire, le Nord
Atlantique de l’Espagne doit recevoir 650 mm d’eau par an, quand on tombe à 400
mm dans le Sud. Idem pour les nappes phréatiques, les lacs et les
rivières : la répartition n’est pas équilibrée. Un autre argument
important est le déséquilibre de plus en plus important entre l’offre et la
demande en eau. En effet, l’agriculture et le tourisme se font dans des régions
particulières traditionnellement mal dotées en eau (Catalogne, Andalousie, …).
Or la consommation d’eau en Espagne est la plus élevée d’Europe avec 656 m3 d’eau par habitant et par an
alors que l’essentiel de l’eau en Espagne passe dans l’irrigation des cultures.
Le pays possède un modèle de développement économique en contradiction avec la
consommation classique en eau et le peu de ressources sur place. Cela provoque
donc des grandes tensions. Au lieu de changer fondamentalement son système
économique et de revoir la logique géographique de développement, l’Espagne
aménage sa géographie de l’eau pour la mettre au service du développement :
elle aménage donc les ressources en eau pour compenser les déséquilibres
géographiques. Le premier plan est créé en 1933
mais au final, il ne répond pas correctement à la demande puisqu’en offrant aux
agriculteurs de l’eau on a augmenté la demande d’eau des agriculteurs voisins. En
2001, le Plan Hydrologique National continue
dans cette logique et prévoit 118 nouveaux barrages, 41 usines de dessalement principalement
sur la côte méditerranéenne, … Face aux réactions de la population, l’Espagne
envisage de revoir sa politique de l’eau et de potentiellement adapter ses
activités à ses ressources hydriques. Ce n’est donc pas tant l’aridité ou la
sécheresse qui contraint l’Espagne mais des activités de développement pas
forcément adaptées à ses ressources en eau.
I.
La rareté de
l’eau : une affirmation à nuancer
1.
Des évolutions préoccupantes
97%
des ressources en eau de la Terre sont dans les mers et océans. Il reste donc 3% d’eau douce. Dans ces 3%, 67% sont
des glaciers donc peu accessibles, 33% sont des eaux douces accessibles. Seulement 2% des 3% sont des eaux de
surfaces, le reste, consiste en des nappes phréatiques. Avec tout ça, il
reste 7 000 m3 d’eau par an et par personne. Ce
n’est donc pas la quantité qui inquiète mais davantage la qualité.
Mais il y a une
peur de la pénurie d’eau,
on redoute qu’il n’y en ait pas assez. On a des images satellites de plusieurs
zones dans le monde qui révèlent des assèchements : le fleuve Colorado entre 1992 et 2002, la mer d’Aral entre 1977 et 2006 ou encore le lac Tchad entre 1973 et 2001.
2.
Disparités et inégalités : la cause directe des tensions
A.
Inégalités spatiales : l’eau est dramatiquement mal
répartie dans l’espace
A l’échelle
mondiale, si on classe les pays par leur quantité de m3
par an et par habitant, on a des catégories (entre 0 et 1000 : pénurie ; entre 1 000
et 1 700 : stress hydrique ; entre 1 700 et
2 500 : vulnérabilité ; au-delà ça va). 9 pays au total
possèdent 60% des réserves mondiales en eau : Brésil, Canada, Chine
Colombie, États-Unis, Inde, Indonésie, Pérou et Russie. Les organismes
internationaux soulignent qu’il existe un risque si on continue sur le même
modèle de développement économique.
Ces méthodes de mesures
ne sont pas toujours très pratiques.
En Namibie, il y a 4 fleuves dont 3 servent de frontières. Les organismes
calculent donc le débit des 4 fleuves et le nombre d’habitants, mais l’eau des
3 fleuves frontaliers n’est pas utilisée pour les populations namibiennes. Un
grand projet de Namibie est l’alimentation en eau de la capitale Windhoek à
1 000 m d’altitude par le fleuve Okavango au Nord du pays. Du coup, un
système devait traverser la moitié du pays qui est désertique au risque de
perdre beaucoup d’eau par évapotranspiration. Finalement, la capitale a décidé
de recycler son eau pour éviter de faire monter les prix.
Dans
les pays très bien dotés, on trouve : Canada (85 000 m3), le Brésil (42 000 m3), le Bengladesh (8 000 m3), …
B.
Inégalités dans le temps
En Irak comme au
Bengladesh, le problème n’est pas la quantité mais la répartition dans le temps
de cette eau. Le
Tigre et l’Euphrate prennent leurs sources dans les montagnes du Taurus. Leur
débit est élevé au printemps lors de la fonte des neiges : trop tard pour
l’hiver et ses cultures et trop tôt pour les cultures d’été. Soit donc on
conserve l’eau quelque part avant de la libérer, soit on ne peut faire de
cultures. Du coup, 55% du débit du Tigre se fait de mars à mai, entre deux
cultures.
C.
Inégalités dans la qualité des eaux
Parfois la notion
de qualité entre en jeu.
Ainsi le Danube après l’URSS devenait un égout à ciel ouvert. Le fleuve était
très pollué et la mer Noire aussi à tel point que l’écosystème avait été
partiellement détruit. Une structure de coopération s’est mise en place pour
réhabiliter le Danube et semble porter ses fruits.
D.
Inégalités dans les usages
Selon nos constats,
plus un pays est riche plus la consommation individuelle d’eau est élevée. On va donc avoir une tension en
eau plus forte en France qu’en Afghanistan. Les pays émergents ont une plus
grande consommation d’eau domestique que les pays riches, car ils pratiquent
encore une forte agriculture. Le prélèvement hydrique par PIB et par habitant
confirme ce constat. Le prélèvement
c’est extraire de l’eau et la restituer ensuite (même modifiée) tandis que la consommation n’est pas directement
restituée. La consommation se calcule comme la différence entre le volume prélevé
et le volume rejeté, autrement dit, le volume qui n’est plus disponible pour d’autres
usages.
L’agriculture à
l’échelle planétaire consomme les deux tiers des eaux douces, mais cela peut
changer d’un pays à l’autre.
Les pays industrialisés consomment peu d’eau dans l’agriculture (en général) et
les pays émergents beaucoup plus. Si on associe les prélèvements liés à
l’agriculture et les tensions autour de l’eau, on constate que certaines zones
ont les deux conflits, mais aussi que les USA sont en tension autour de l’eau
et de l’agriculture. Mais pourquoi des pays dont le principal problème est la
surconsommation en eau pour l’agriculture continuent à persister dans ce
sens ? Souvent c’est pour assurer la sécurité alimentaire du pays. Cet
enjeu politique est majeur. Si on regarde l’Algérie, elle surconsomme son eau
pour produire ses produits de consommation agricoles alors qu’elle gagnerait
trois fois plus en mettant cette eau dans le développement touristique. Mais
les marchés agricoles étant très instables, les pays préfèrent assurer leur
indépendance alimentaire. L’agriculture étant un moyen de contrôler l’espace et
les populations, certains pays gardent de l’agriculture pour maîtriser leur territoire.
Ainsi les USA sont exportateurs de denrées alimentaires mais estiment maîtriser
leur territoire.
Karl Wittfogel parle en 1957 de « sociétés hydrauliques ». Il étudie l’URSS de Staline et
de Khrouchtchev et montre comment les grands travaux sur les fleuves ont
conduit à certains désastre comme la mer d’Aral.
Deux grandes
hydrohégémonies existent selon Louis
Bouguerra : la Turquie et la Chine. Tous deux sont de gros château
d’eau régionaux. La Turquie possède les montagnes du Taurus qui alimentent
principalement le Tigre et l’Euphrate en Syrie et en Irak. Le but en aménageant
ces fleuves en Turquie, était de mieux contrôler l’espace kurde en stabilisant
les populations kurdes dans leur région et en les intégrant au peuple turc.
Plus récemment, la Turquie a mis en place un nouveau projet le Guney Anadolu
Projesi (GAP) qui doit aussi aménager ces fleuves mais au détriment des pays en
aval. Les tensions entre Turquie, Syrie et Irak sont donc revenues sur le
devant de la scène. La Chine est dans une situation très similaire avec le
Mékong.
L’Afrique du Sud de
son coté avait une hydrohégémonie moyenne mais a su la maximiser. Le pays est allé chercher l’eau
dans plusieurs zones, dont au Lesotho. Ce petit pays inclus dans l’Afrique du
Sud s’est vu imposé une certaine quantité d’extraction de l’eau. L’Afrique du
Sud peut maintenant par un système ingénieux de 24 barrages faire passer l’eau
du Lesotho à Johannesburg avec assez peu d’évapotranspiration.
Dans tous ces exemples,
la rareté constatée, n’est pas la rareté absolue mais la rareté relative. La rareté absolue révèle que
l’eau semble insuffisante pour subvenir à tous les besoins de base. La rareté
relative est plus importante, elle décrit comment l’usage de l’eau dans un
système de développement provoque la rareté de la ressource. (cf le powerpoint
pour les définitions exactes). Il y a
plusieurs dimensions qui se croisent du coup : la géographie physique, la
structure socio-économique ou encore la logique financière. C’est donc là que
se place la géopolitique de l’eau, il faut toujours regarder le croisement des
trois dimensions.
II.
Les « guerres
de l’eau »
Avec toutes ces
situations de tensions, peut-on dire qu’on se dirige vers un accroissement des
guerres de l’eau ?
Il s’agirait de guerre où le contrôle de l’eau est un enjeu majeur du
déclenchement de la guerre.
1.
Types et conflits
Plusieurs types de
conflits existent :
·
Les conflits d’usage : il s’agit d’une
incompatibilité entre deux usages de l’eau. Si l’on étudie le fleuve Mékong, il
prend sa source en Chine mais traverse le Laos, le Cambodge et le Vietnam. La
Chine envisage de faire un barrage sur le fleuve pour satisfaire ses besoins en
eau. Cependant, le pays n’a pas consulté ses voisins en aval. Un conflit
d’usage apparaît donc entre l’agriculture chinoise et les autres usages dans la
péninsule indochinoise. Mais au lieu de résoudre le conflit en discutant avec
les pays voisins, la Chine ignore royalement ses voisins. On a le même problème
en Israël avec la Palestine autour des nappes phréatiques.