Vient alors la
crise des missiles de Cuba, qui montre l’extrême limite de la Guerre Froide. Pour Raymond Aron,
la Guerre Froide est un triptyque : dissuasion, persuasion et subversion.
Lors de la crise de Cuba, les trois éléments clés d’Aron se retrouvent imbriqués. On a
donc eu des conventions tacites entre les deux grands durant cette époque de
Guerre Froide. Aujourd’hui beaucoup moins. Cette convention tacite foncière
consistait à dire qu’on n’avait pas à envahir le territoire de l’autre, or la
guerre de Corée illustrait le contraire de cette déclaration. Ce jeu de
conventions tacites brisées dans les faits, a lieu à plusieurs reprises. Ainsi
Cuba revient à respecter cette convention tacite tout en provoquant les USA. Grâce à la possibilité de détruire
l’adversaire avec les têtes nucléaires, on le menace mais surtout on le dissuade
d’envahir le territoire de l’adversaire. L’aspect
de la persuasion est double : diplomatique et de propagande. En
diplomatie classique, la situation de crise est très tendue mais Kennedy et Khrouchtchev
n’ont pas cessé de négocier entre eux alors même que Kennedy pouvait faire des
frappes sur Cuba pour détruire les rampes de lancement. L’autre aspect de la
persuasion est la propagande qui passe par les ondes et par les courants
politiques proches des deux camps. La
voix de l’Amérique était un canal de diffusion des idées du monde libre
à l’Est par exemple. L’URSS passait davantage par les partis communistes
installés dans l’Ouest. Enfin la
subversion passe principalement par les groupes de guérilleros armés par l’URSS.
Ces groupes subversifs doivent soit tenter de prendre le pouvoir sur place,
soit de préparer le terrain à une prise de pouvoir. La doctrine Truman de 1947 voulait endiguer le communisme dans les pays
qui n’était pas sous la férule de celui-ci. Ce schéma repose sur un certain
idéalisme. Dans la pratique, contrairement à l’opinion marxiste, on ne voit pas
trop en quoi les USA interviennent en Corée ou au Vietnam pour d’autres raisons
que l’endiguement, les USA n’y ont pas d’intérêts particuliers.
Après
l’intervention des USA au Vietnam par idéalisme et aussi par réalisme, pour
éviter un effet domino des démocraties qui tombent sous le joug communistes les
unes après les autres ; les USA interviendront dans d’autres guerres. Lorsque la Guerre Froide s’achève de 1989 à 1991, aux USA comme en URSS, les chefs
d’Etat changent et estiment que le droit international devra régir les
relations internationales, c’est le Nouvel Ordre Mondial (NOM). Mais ce qu’ils affirment comme un droit
dominant, cela prendra forme en 1991 avec la
Première Guerre d’Irak. Cette intervention se fait au nom de la violation
de la souveraineté du Koweït et réunit près de 30 Etats dans la coalition. Pour
empêcher le développement du nucléaire en Irak, les USA vont encore surveiller
le pays pendant une décennie. On a alors l’impression que le droit peut
remplacer la politique.
Mais une nouvelle
rupture a lieu vers 2002 et 2003. Deux types
d’intervention politico-militaire se conjuguent au même moment. En effet, après
les attaques du 11 septembre, les USA interviendront en Afghanistan avec
l’accord de tous au conseil de sécurité de l’ONU. En revanche, la décision de
s’en prendre à l’Irak en 2002 change la donne. Le conseil de sécurité explose
puisque la France, l’Allemagne et la Russie refusent de donner leur accord à
cette opération militaire. On a donc eu une intervention sous le cadre de l’ONU
dans un pays qui n’a jamais eu de cadre étatique (mais surtout des pouvoirs
ethniques). La vision en Afghanistan était de l’ordre du réalisme :
détruire les camps d’entraînement des terroristes du 11 septembre et préparer
un affaiblissement du Pakistan qui s’éloignait de son alliance avec les USA
pour se rapprocher de l’Inde. Prendre le contrôle de l’Afghanistan revenait à
encadrer ce faux-ami que représentait le Pakistan.
Pour l’Irak, on
arguait qu’il fallait intervenir dans ce pays où un tyran au pouvoir devenait
incontrôlable. Mais cet argument n’en était qu’un parmi d’autre. D’autres objectifs étaient
prioritaires, mais sans doute pas la question du pétrole. On ne peut nier qu’il
y a eu une réflexion sur le pétrole pour l’administration américaine mais ce
n’est pas vraiment leur objectif prioritaire. En effet, le coût de
l’intervention et du maintien des champs pétrolifères s’est vite avéré très
conséquent. A court termes, une intervention pour le pétrole en Irak n’avait
rien de rentable. Une autre raison plus
valable revenait à souligner le point des armes de destruction massive en janvier 2003. C’est un argument réaliste et
classique pour intervenir militairement. C’est notamment le discours d’une
guerre juste qui est repris par Bush, puisqu’une guerre légale est en passe
d’être désapprouvé par l’ONU. Sensibles au droit, les USA vont tenter de
justifier une guerre juste pour intervenir en Irak. Les USA analysent les
conditions d’entrée en guerre et la conduite de la guerre elle-même. L’autorité
qui doit répondre à l’attaque sera souveraine et on répondra de manière
proportionnée aux dommages causés tout en respectant les populations. Ce
discours de janvier 2003, comprend dans les arguments : un tyran qui
martyrise les populations, un pays qui déstabilise la région et des soupçonnées
armes de destruction massive aux mains de Saddam Hussein. En insistant
lourdement sur ce dernier argument, les USA sont passés d’une guerre préemptive
à la guerre préventive. La première répond à une menace imminente et
claire, la seconde choisit une cible et trouve une justification quelconque
pour l’attaquer. Or pourquoi insister autant sur les armes de destruction
massive dont tout le monde doutait. D’abord parce que les services secrets
américains ont été induits en erreur sur cette question. D’autre part, en
invoquant le passé, même très proche, ce n’était pas un argument valable. Pour
les Américains intervenir maintenant pour des faits passés n’avaient rien de
pertinent et puis si on le faisait là, pourquoi pas ailleurs ? Enfin cet argument révèle du wilsonisme
botté. Paul Wolfowitz,
proche de Martin Luther King, s’est rapproché des néoconservateurs pour
développer la théorie de la démocratisation du Grand Moyen-Orient (du Maroc au
Pakistan). Il fallait pacifier la région par la démocratie. Parallèlement, Rumsfeld qui avait pour conseiller Wolfowitz et
qui était secrétaire à la défense, prenait l’argument de la guerre à la
terreur. Le terrorisme est un phénomène qu’on peut localiser, mais la
guerre au terrorisme demande de définir clairement les cibles. La terreur en
revanche est un phénomène qu’on ne peut absolument pas localiser précisément.
Rumsfeld prévoyait donc une guerre sans limite pour un projet titanesque. Les
USA ont donc voulu mettre en pratique une idée bottée, grâce à l’armée. Dans ce cadre on est avant tout devant une
vision abstraite ou idéaliste des Relations Internationales. C’est une
intervention qui provoque directement des guerres. De plus, l’Irak
contrairement à l’Afghanistan a une forme étatique. Il y avait même une
idéologie moderne, le baasisme, un socialisme qui reposait sur la conception de
l’Etat. L’erreur principale des USA fut de destituer les fonctionnaires
baasistes pour former une nouvelle élite de fonctionnaires. Or c’est quelque
chose de très difficile à faire, qui leur a posé des problèmes au Vietnam et
qui leur en pose aussi en Irak.
Guerre
ou terrorisme ? Les deux termes ne sont pas naturellement liés et doivent
être conceptuellement distingués. Ainsi les groupes liés, mais pas nés, à
Al-Qaïda sont nés d’une volonté de réponse
violente aux enjeux locaux.
Le premier
phénomène nouveau, ce sont les guerres internes. Le livre de Jean-Pierre Derriennic
intitulé Les guerres civiles,
fait le constat qu’il y a une universalisation de la fragmentation du monde
avec des guerres civiles
qui opposent des concitoyens quand une guerre interétatique oppose des soldats
qui ne se connaissent pas, les uns contre les autres. On peut émettre une
réserve sur le terme « guerre civile », qui renvoie à un conflit
armé entre deux camps opposés qui imposent à toute la population de
choisir son camp. En Colombie la guerre civile était réelle puisqu’on avait
deux groupes adverses et chaque colombien devait choisir un camp. Dorénavant, les guerres internes opposent
deux groupes mais pas toute la population. Les groupes partisans
développent souvent une idéologie dans ce combat, une sorte de sociologie
simpliste dont le but est de développer un discours pour passer à l’action. Les
groupes socio-économiques mènent alors des guerres partisanes. Les guerres
identitaires enfin, opposent des groupes auxquels on appartient de naissance
dont il est difficile de changer.
Parallèlement,
on trouve le développement du phénomène du terrorisme mis en lumière suite au
11 septembre. On peut faire des groupes en fonction des types d’actions
perpétrées. Le terrorisme hyperbolique du 11 septembre relève d’une stratégie
de guérilla par exemple. Historiquement, les terrorismes reposent sur des
stratégies de répression, certains Etats n’ayant pas hésité à faire usage de la
Terreur. A coté de ça, on trouve des groupes terroristes non-étatiques qu’ils
soient proches des guérillas ou plus proche d’une nébuleuse type Al-Qaïda. Ces
groupes expriment de plus en plus souvent dans leur discours politique des
fonds religieux. Première caractéristique
de ces groupes, l’usage fréquent de la religion, notamment le plan politique et
idéologique. Deuxième caractéristique, il y a eu une multiplication
exponentielle des amateurs terroristes, ce qui augmente leur nombre, mais
diminue leur qualité en terrorisme. Troisième élément, une professionnalisation
des terroristes qui s’adaptent plus rapidement mais s’avèrent aussi plus
brutaux dans leurs actes. Ultime élément, en contrant l’Etat par le terrorisme,
les groupes terroristes sont voués à l’échec dans leurs buts ultimes de faire
tomber l’Etat. En revanche, ils parviennent parfois à aboutir à des objectifs
de moyens termes. La violence finit pourtant par devenir le seul but de ces
groupes.
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