Relation Europe - Amérique 15 - 11 (cours 2)


Et la République a pu s'appliquer dans un vaste pays.


Les Français défendent la liberté de la presse, pour diffuser les Lumières et stimuler l’esprit public. Ils ont un programme social proche de celui que défendait Jefferson (liberté de commerce, abolition de certains principes aristocratiques, …). La Révolution Américaine est vue en France, comme un grand évènement mais comme elle n’est pas assez rationaliste, on y voit une promesse inaccomplie. On a donc cette admiration de la part de la France, large mais partielle car inaccomplie. Souhaitant aller plus loin que leurs prédécesseurs américains, on peut y trouver l’origine des divergences entre les deux Révolutions.
Au tout début de la Révolution Française, dans les débats de l’assemblée Constituante, on fait souvent référence à la révolution américaine d’autant plus lorsque les Français débattent de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. En effet, l’Amérique a su dépasser la tradition anglaise et a compris que la liberté ne pouvait se fonder que sur des principes universels.
Quelques réserves existent quand même, notamment concernant le Bill of Rights qui selon eux n’a pas su suivre un ordre rationnel. Les Américains, pour les Français, vivent déjà dans l’égalité. Au contraire de la France, où l’on vit dans un contexte historique lourdement chargé en inégalités sur le plan social (Aristocratie, bourgeoisie, …) et sur le plan politique (avec un absolutisme fort). Les déclarations américaines reconnaissent des principes universels mais pensent les appliquer uniquement aux citoyens américains. Les Américains n’ont pas su développer complètement des droits véritablement universels. On trouve bien la liberté de conscience, ou des droits pour les étrangers, mais à chaque fois c’est présenter comme une conquête des Américains qu’ils vont appliquer dans leur pays, pas au-delà. Ces critiques ne viennent pas uniquement des Libéraux de l’époque, certains Modérés craignent une excessive dynamique des droits. Pour certains en France, les droits ne s’appliquent pas uniquement à l’échelle individuelle mais sont aussi un outil politique qui doit transformer la France. Il fallait donc aller plus loin que les Américains dans les droits car les USA bénéficiaient d’un territoire où la société était partiellement égalitaire, quand en France, l’histoire avait fait un contexte très inégalitaire.

C’est dans un contraste assez profond entre les traditions française et américaine qu’on va voir les différences politiques entre les deux pays. Les Américains avaient eu un conflit avec le Parlement anglais, cultivant une grande défiance à l’égard du pouvoir législatif. Du coté français, c’est l’inverse, il a fallut créer un régime représentatif qui n’existait pas. Les Français ont donc transférer à l’Assemblée les attributs du souverain. En même temps, dés 1789, ils ont ouvert la voix à une extension indéfinie de leur logique, risque pour l’Etat (pas compris). Le pouvoir accordé à la loi est donc central en France tout en ayant une logique des droits de l’homme pouvant s’étendre indéfiniment. Du coup, la prééminence de la loi en France met de coté la notion de checks and balances. Ce pouvoir accordé au législatif est longtemps demeuré en France jusqu’au principe de constitutionnalité instauré en 1848. Mais dans les faits, le conseil constitutionnel n’a pas eu beaucoup de pouvoir y compris aujourd’hui. Depuis les années 1970, il est devenu plus facile de saisir ce conseil et en 2010, on peut remettre en cause une loi qui nous toucherait personnellement. Dominique Schnapper l’a décrit dans son ouvrage Une sociologue au Conseil Constitutionnel.

Fédéralistes et anti-fédéralistes :
L’importance de la Révolution Américaine vient d’une part de ce qu’elle a contribué à remettre en cause l’ancien ordre social en adoptant des idées Whigs et en défiant le Royaume-Uni, grande puissance européenne. Cela vient aussi d’un processus engagé en 1776 qui donne lieu à une construction institutionnelle aboutissant à l’adoption de la constitution de 1787, complétée et enrichie par la contribution du débat autour de la démocratie libérale. En effet, le projet de constitution a été élaboré par une convention réunie à Philadelphie pour régler les problèmes liés à la faiblesse du régime antérieur (la Confédération de 1776 à 1787). La Confédération avait contourné le problème de la souveraineté, elle n’avait pas réussi à harmoniser les politiques de chaque état américain. De plus les législatures de chaque état étaient soumis à des pressions des fermiers débiteurs, des fermiers endettés qui remettaient en cause les droits de propriété. L’Amérique libre de la Confédération balançait donc entre une anarchie populaire, ou une forme de despotisme toujours d’origine populaire. Les représentants de Philadelphie ont donc voulu surmonter la diversité extrême des structures politiques étatiques.
Le débat apparaît donc entre des Américains qui défendent le projet de fédéralisme et leurs détracteurs (aussi Américains), les anti-fédéralistes. Pour les anti-fédéralistes, il y a des thématiques communes qu’ils partagent mais ils sont beaucoup moins unis que les fédéralistes. Les anti-fédéralistes estiment qu’un pouvoir central risque de centraliser des pouvoirs au détriment des états. Cela pourrait être dommageable aux tendances aristocratiques du régime américain. Enfin, les anti-fédéralistes critiquent les conditions institutionnelles de préservation des libertés. Sur ce dernier point, les anti-fédéralistes ne comprennent pas le Bill of Rights. Les divisions internes au camp des anti-fédéralistes tendent à leur donner une position maladroite. Pour eux, la République n’est possible que dans de petits pays, ils s’opposent donc à l’accroissement des pouvoirs de l’Union et au gouvernement « trop complexe » qui découlerait des idées fédéralistes.
Certains historiens progressistes, comme Charles Beard, ont démontré que la posture des anti-fédéralistes était très conservatrice. Pour Gordon S. Wood, cette posture conservatrice était très problématique pour les anti-fédéralistes. Cette posture relève d’un attachement pré-moderne de la tradition anglaise, une conception organique de l’unité de l’Etat. L’Etat serait un organisme avec un fonctionnement spontané et naturel. Parallèlement, on trouve aussi des aspects démocratiques et libéraux dans l’opinion anti-fédéraliste.
En s’attachant au Gouvernement républicain, ils vont pouvoir développer l’obéissance volontaire à la loi. On a donc deux positions qui s’articulent : des principes conservateurs et d’autres modernes. Tout cela se trouvait dans la culture Whig et radicale. Il fallait donc une division du travail dans le système institutionnel. Selon les anti-fédéralistes, il fallait appuyer la République sur un système de checks and balances. Ils reprochaient donc au projet de Constitution un cadre pas suffisamment démocratique et artificiel car dénué de bases naturelles.
Authentiques héritiers de Montesquieu, les fédéralistes développent l’idée de la représentation mixte mais indépendamment de la représentation organique. Montesquieu change effectivement la notion de démocratie en développant la notion des trois branches : exécutif, législatif et judiciaire. Montesquieu détache aussi l’idée de régime mixte d’une représentation organique. Grâce à cette dissociation, les fédéralistes permettent l’élaboration d‘une synthèse entre principes individualistes et les mécanismes institutionnels libéraux.
Adressé aux électeurs de l’état de New-York en fin d’année 1787, les fédéralistes rédigent The Federalist, dans lequel ils défendent leur projet politique. Ils cherchent à montrer que le projet de Constitution ne met pas en danger le gouvernement républicain, mais au contraire renforce à la fois la liberté et le pouvoir. Pour démontrer cela, les auteurs vont introduire une distinction essentielle entre la République et la Démocratie. Leur but en faisant cela est de démontrer que la république peut se faire dans un grand pays. Pour Madison, le problème des anti-fédéralistes c’est que dans leur camp, « On confond toujours une République avec une Démocratie, on applique à la première des objections tirés de la nature de la seconde. Dans une démocratie, le peuple s’assemble et gouverne lui-même. Dans une République, il s’assemble et gouverne par des représentants et des agents. Par suite, une démocratie doit être bornée à un petit espace, une république peut s’appliquer dans un grand pays. ». Le régime républicain est donc plus simple à réaliser que la démocratie au sens antique selon deux conditions. Le gouvernement d’une république doit tirer ses pouvoirs directement ou indirectement de la grande masse du peuple. En outre, il doit être administré par des personnes « qui tiennent leurs fonctions d’une manière précaire pour un temps limité, ou tant qu’ils se conduisent bien. ». La république représentative est donc une forme politique supérieure aux démocraties du passé (type démocratie grecque antique ou démocratie italienne de la renaissance). Avec l’invention de la représentation, on peut réaliser la République. La fondation du régime américain est donc aussi liée à la critique du républicanisme classique et ancien. Cela se présente de deux manières : une critique a une base démocratique s’appuie sur une neutralisation des extrêmes et une dimension populaire. Ces deux principes sont toujours vivants actuellement.

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