Le bosphore d'Istambul (entre la mer de Marmara et la mer Noire)
Les
élites turques et l’étatisation
Puisque
dans un État faible les élites ont un pouvoir plus grand sur celui-ci alors on
peut regarder de plus près ce qu’il en est avec le cas turc.
I.
Un État spécifique
Dans le droit
international public, on définit un État par la notion de droit successeur. Ainsi la Russie est l’État
successeur de l’URSS et la Turquie, l’État successeur de l’Empire Ottoman. En
faisant ainsi on récupère certaines prérogatives de l’ancien État ainsi que des
désavantages. La Turquie en tant qu’État successeur de l’empire ottoman a aussi
récupéré aussi les dettes de l’Empire ottoman.
Cet État est
particulier aussi parce qu’il est à un carrefour géographique : balkanique, caucasien,
européen et moyen-oriental. C’est tant un avantage qu’un inconvénient puisque
si ce lieu est clé, cela ne l’empêche pas d’être soumis à des influences
extérieures pour le contrôler. D’ailleurs dans la guerre de libération, il a
bien fallut pour les Turcs reprendre leur territoire. Mustafa
Kemal Atatürk et son armée ont donc pris le dessus dans cette conquête.
La question des frontières est majeure pour ce pays.
C’est un État qui
s’est très vite arrimé au bloc occidental alors même qu’il est entouré par le bloc
socialiste. La Turquie s’est construite comme un État proche de l’alliance
occidentale. Concrètement, la Turquie s’est rapprochée des USA dés 1947, est entré dans l’OTAN lors de sa
formation en 1959 et enfin a rejoint l’OCDE
par la suite. Le pays est donc bien un pilier de l’alliance occidentale.
Historiquement, son allié local et principal est donc devenu Israël.
La Turquie est
aussi un pays sécuritaire, centraliste et autoritaire avec pour pilier les
trois armées :
armée de terre, de mer et de l’air.
C’est aussi
spécifique car on est dans un État qui n’est pas juste arrimé aux USA mais dans
un sens plus global à l’Occident.
Cette occidentalisation fut un revirement assez fort et rapide. L’aspect
oriental du pays fut longtemps mis de coté sur plusieurs plans. Sur le plan
juridique, la charia est abandonnée pour un code civil proche de celui de la
Suisse. Idem pour le code pénal inspiré de l’Italie. Le tout pris place sous des
présidences de kémalistes. Plusieurs observateurs parlent d’une vraie
révolution en Turquie puisque les modes de vie ont été vraiment révolutionnés
(des mesures numériques au mode de mariage en passant par le vote des femmes).
Typiquement, la Turquie a modifié son alphabet d’origine perse et arabe pour en
faire un alphabet latin. La laïcité a aussi été intégrée. Le système
administratif est calqué sur celui de la France avec un découpage en
département et en préfecture.
On a donc un État
en cours de normalisation même si cela dure depuis la naissance de la Turquie. Mais ce projet occidentaliste est remis en cause depuis quelques temps.
On a un arrimage à l’Occident très fort et ancien (de l’OTAN à l’UE). On a donc
un État en partie contradictoire entre dynamique de normalisation et influence
post-ottomane. Celle-ci s’est révélée depuis 2003
quand un long pouvoir conservateur qui est resté plus de 10 ans à la tête de l’État
est renversé. Passe-t-on alors à une ré-ottomanisation qui remettrait en
cause la logique d’occidentalisation ?
II.
La stabilisation du
régime démocratique turc
Cette stabilisation
s’est faite de plusieurs manières. D’abord, on a limité la dynamique
révolutionnaire.
Les premières élections libres datent de 1950
avec, comme souvent, le succès d’un parti démocrate mais très conservateur. Ce
parti est revenu sur la laïcité et d’autres points du programme. En 1960, le coup d’État a lieu pour rétablir la
démocratie et le programme révolutionnaire. C’est un coup d’État original car
il est révolutionnaire. Le premier ministre Menderes
est donc renversé par l’armée, qui le condamne et le pend au nom du fait que le
projet révolutionnaire d’Atatürk avait été abandonné par Menderes. La Turquie y
a tout de même perdu en prestige suite à cet évènement.
Autre aspect, les
coups d’État en Turquie sont nombreux mais ont pu stabiliser le régime sur le
long terme :
en 1960, en 1971
(gouvernement de droite jugé trop libéral), en 1980
(coup d’État du 12 septembre qui amène la dictature du général Evren) et en 1997 (dit le coup d’État postmoderne, où l’armée
intervient mais sans violence). Tous ces coups d’État sont assez différents,
mais on constate que cela s’est stabilisé puisqu’en 2007
un coup d’État virtuel a eu lieu cette année-là, sans succès. Et puis ces coups
d’États ont aussi été de moins en moins violents.
Qu’en est-il alors
de la période islamiste avec l’Adalet ve Kalkinma Partisi (AKP, parti de la
justice et du développement) et son premier ministre actuel Recep Tayyip Erdogan ? En décembre
2002, le parti islamiste gagne les élections et la constitution est
changée, il accède au pouvoir en mars 2003.
Ce n’est pas la première fois qu’un parti islamiste arrive au pouvoir en
Turquie. Celui-ci se présente d’ailleurs comme Islamiste démocrate donc sur le
principe des Chrétiens démocrates. Erdogan est alors très loin de vouloir
rétablir la charia. Cet islamisme modéré est proche du développement capitaliste classique est apparu comme un
régime combinant développement et islamiste. D’ailleurs, Erdogan est au pouvoir
depuis maintenant 10 ans et a inspiré plusieurs partis politiques dans d’autres
pays arabes.
Durant ces 10 ans,
Erdogan a fait du pays une grande puissance économique en développant ses
exportations. De grands projets sont en construction : le métro sous le détroit
du bosphore, un second bosphore au Nord d’Istanbul, un grand aéroport
international ou encore le GAP.
Autre constat de sa
politique, la réorientalisation et l’aspect conservateur de sa politique. Ainsi la laïcité est remise en
cause avec le retour du voile dans els universités et le Parlement. Ainsi, on
tend à dire que, par incrément, l’AKP et Erdogan réoriente une politique
conservatrice et anatolienne.
Au final, on
retient de son bilan, un néo-ottomanisme qui sert de boussole à ce
gouvernement, un véritable leadership, un retour de l’Islam dans l’État comme
symbole de vie d’un mode de vie plus conservateur. En revanche, la politique
est contestée sur le plan démocratique
puisque plusieurs spécialistes estiment qu’Erdogan a réprimé fortement les
manifestations de contestations (Gezi Park) et tenté d’éliminer ses adversaires
principaux notamment dans l’armée. On constate donc des oppositions à la
politique menée par Erdogan sans que la dimension autoritaire de la démocratie
en soit plus effacée.
III.
Les défis actuels
de la Turquie
Plusieurs
questions internes demeurent au sein du régime.
(Histoire de la Turquie contemporaine,
coll. Repères, Bozarslan)
La civilianisation
du régime est-elle totale ?
Certes le régime islamiste a affaibli l’armée, mais après tout, rien n’empêche
celle-ci de revenir au premier plan lors d’un potentiel coup d’État.
Un enjeu tourne
aussi autour du développement entre l’Ouest et l’Est du pays. Ainsi le cas kurde a été plus ou
moins réglé par Erdogan (possibilité de faire du kurde une seconde langue,
quelques émissions en kurde, …) mais rien de concret pour aider la région.
La question de
l’islamisme est aussi en jeu.
Si Erdogan est réélu en 2015, va-t-il
renforcer l’islamisme ou ce qui séduit c’est le compromis entre religion et
laïcité ?
Le
régime se stabilise-t-il sous le coup de l’islamisme ou bien le long règne de
ce parti cache-t-il autre chose ? Après tout, l’alternance en Turquie est
bloquée depuis 30 ans. On a donc quand même toujours le doute sur la dimension
autoritaire en dépit de l’affirmation de l’AKP comme quoi ce parti serait
modéré.
En questions
externes, plus géopolitiques que les précédentes, on en trouve plusieurs.
Tout d’abord, l’inévitable
problème de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. Les négociations d’adhésion
entre la Turquie et l’UE ont repris mais des deux bords on freine des deux
pieds.
Autre souci, la
question chypriote
qui demeure elle aussi en suspend. On a pourtant une crise géopolitique qui
dure depuis 50 ans et qui est un enjeu d’u point de vue de la Méditerranée et
aussi de l’UE. La Turquie contrôle donc 30% du territoire chypriote et appelle
ça la République Turque de Chypre Nord. Or la Turquie est le seul pays qui
reconnaît l’existence de cet État. Isolée sur la question, la Turquie maintient
pourtant sa position.
Autre sujet
délicat, le génocide arménien de 1915. On considère qu’il y a eu
jusqu’à 1,5 millions de morts. Or là encore, cela renforce l’aspect autoritaire
du pays qui refuse de reconnaître son implication dans cet évènement. Bien sur,
cela pose la question de ce qui se passe avec une reconnaissance de ce
génocide. Avec l’Arménie (le pays), la frontière est fermée, les Arméniens
turcs sont venus s’implanter en Europe de l’Ouest, … Cela concerne donc l’image
diplomatique de la Turquie qui est fragilisée par son négationnisme d’État.
Le Moyen-Orient est
un autre enjeu de la Turquie. Elle
s’insère dans l’espace du Moyen-Orient et en particulier avec des frontières
communes avec la Syrie, l’Irak et l’Iran. C’est toujours assez tendu dans leurs
rapports avec ses voisins et la guerre a menacé à plusieurs reprises avec la
Syrie ou l’Irak. Mais de nombreux enjeux posent problème. L’Iran en opposition
sur le sujet du nucléaire avec l’Occident, l’afflux de réfugiés venus d’Irak
puis de Syrie et des zones kurdes. Les frontières locales sont plus
problématiques pour la Turquie qu’un véritable avantage.
Le dossier
énergétique est aussi un problème local. Peu pourvu en ressources naturelles connues, la
Turquie, très dépendante du gaz russe tente autant que possible de s’en
dissocier. La Turquie développe alors des liens divers avec ses partenaires. La
question du projet hydraulique GAP est aussi un souci majeur.
Enfin, la Turquie a
des soucis assez importants avec ses voisins. L’ennemi héréditaire local est la Grèce, le partage
entre les deux pays sur la possession des îles en mer Méditerranée reste tendu.
A cela s’ajoute les flux de migrants qui passent de la Turquie à l’Europe.
Concernant la Bulgarie qui a aussi une frontière avec la Turquie, les relations
sont stables mais pas chaleureuses. Idem avec la Géorgie. Avec l’Arménie, c’est
pire, la frontière est fermée entre les deux pays depuis
1993, la question du génocide arménien pèse sur les relations, ainsi que
les camps choisis par les deux pays dans les guerres du Caucase. L’Azerbaïdjan
est le seul voisin local allié avec la Turquie. Pour l’Iran, les rapports sont
assez faibles, c’est principalement lié à la position iranienne sur le plan
international et sur la question kurde. L’Irak comme État déstabilisé depuis 2003 est dominé par les Chiites, sauf dans
le nord de l’Irak mal maîtrisé qui est plus dirigé par les kurdes sunnites et
les leaders du PKK qui mènent des actions contre la Turquie. Enfin la Syrie a
été approchée sérieusement depuis 2001 par
la Turquie. Malheureusement avec les conflits actuels, la Turquie est empêtrée
dans une situation où, après avoir soutenus les rebelles laïcs, ceux-ci ayant
été partiellement infiltrés par des djihadistes, la Turquie s’est encore
retirée. Pourtant, la crise syrienne a révélé que la Turquie n’est pas encore
une puissance régionale puisqu’elle a faillit entrer dans le conflit, a connu
des attentats syriens sur son territoire et ne parvient pas à calmer le jeu.
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