Un tronçon de la ligne verte.
La
géopolitique européenne au prisme de la question chypriote
La
crise chypriote est interne à la crise européenne. Or ce problème bloque tout
naturellement les démarches pour résoudre d’autres sujets comme la crise en
Syrie. Mais cela reste un cas intéressant puisqu’on a des problèmes locaux
(pour les Chypriotes), régionaux (la Turquie contre l’UE) voire
intercontinentaux.
I.
Genèse de la crise
chypriote : 1571 – 1974
1.
Une double décolonisation inachevée : 1571 – 1960
On a une double
décolonisation inachevée du fait de la sortie de l’Empire ottoman puis de
l’Empire britannique.
En effet, en 1571, Chypre qui est une dans
l’ère ottomane devient une colonie de peuplement pour l’Empire ottoman. En 1878, quand Chypre devient britannique, on a 40%
de population d’origine turque, en plus des populations plus anciennes.
Les
Britanniques soutiennent alors plus naturellement les peuples d’origine grecque
que les peuples d’origine turque. Mais en
1924 quand la décolonisation anglaise
s’annonce, les pro-grecs développent le désir d’être rattaché à l’Énosis grecque,
un projet de grand projet d’union des peuples grecs. Evidemment, les Turcs y
sont opposés et désirent être rattachés à la Turquie. Deux partis émergent qui
demandent une autonomisation de l’Empire britannique mais certains dans le
parti ??? et d’autres dans le parti ???. On a donc un jeu à trois
acteurs. Il faut donc trouver un moyen d’intégrer toutes les tendances.
Or
à cette époque, des îles grecques qui étaient aux mains des Italiens, sont
rattachées au Dodécanèse et donc à la Grèce. Pour les Grecs chypriotes, c’est
l’occasion de réaffirmer leur désir d’être rattachés à la Grèce. Ils forment
donc, l’EOKA, un mouvement
terroriste des années 1950 qui revendiquent
une autonomie, un départ des Britanniques et un rattachement à la Grèce.
Inévitablement, les Turcs mettent en place un mouvement de libération
parallèle, le Taksim. On entre dans
une période de guerre civile.
En 1953, Londres essaye de former un régime
chypriote, relancé en 1958 à Zurich. Il faut trouver une solution
pour ne pas déstabiliser la création toute neuve de l’OTAN en contexte de
Guerre Froide. On en tire alors les conclusions qui s’imposent, créer un État
chypriote. En 1960,
avec Malte et Gibraltar, une
indépendance est concédée à Chypre mais avec des particularités censées geler
le conflit. On installe comme premier président de la République chypriote
un religieux orthodoxe, Monseigneur Makarios
avec pour compenser un vice-président turc, Fazil Küçük.
Le Parlement sera élu en fonction des minorités, idem pour les postes
gouvernementaux. Au final, on a un système biconfessionnel : deux tiers
des pouvoirs aux mains des Orthodoxes et le reste à la communauté Turque. Enfin
on termine en instaurant deux États garants à Chypre : la Grèce et la
Turquie. Tous deux sont censés stabiliser les conflits, en pratique cela reste
douteux.
Pour ne rien
améliorer, les Britanniques conservent deux bases une à Dhekelia au Nord et une à
Akrotiri au Sud. Ces bases sont très stratégiques pour le Royaume-Uni et
existent toujours aujourd’hui non sans faire tâche dans les traités européens,
mais y étant considérés comme tels. Ces bases n’ont nullement pour vocation
d’être rendues à Chypre.
Sur
la base du biconfessionalisme, on instaure un conseil supérieur. Le problème,
c’est qu’on ne sait pas à qui donner le pouvoir : un orthodoxe ou un
musulman ? Ce sera finalement un Allemand pour plus d’autonomie. Dés le
départ, on créé une situation tendue.
En
1960, on a un État construit juridiquement
et soumis à la Grèce, la Turquie, le Royaume-Uni et les USA. Très vite cela va
dysfonctionner.
2.
La « crise régionale » : 1960 – 1974
N’ayant aucun
intérêt au fonctionnement de ce régime, les membres de l’EOKA sèment une guerre
civile et font tomber la République en 1962. Comme ce qui importe pour les États
extérieurs, c’est de stabiliser la région, on cède aux désirs de l’EOKA. Du
coup, les populations turques décident de se regrouper spatialement, les Turcs
vont plutôt au Nord et les Grecs plutôt au Sud. La capitale Nicosie (Lefkosa en
turc) est multiethnique et pose problème. On envoie donc en 1964 les casques bleus pour stabiliser la
capitale et diminuer la guerre civile. Cette force d’interposition gèle le
conflit et fixe une séparation. La ligne de séparation sera longuement remise
en cause dans les années 1960, certains
veulent la modifier et la grignotent tant que possible. De plus, Monseigneur
Makarios se place dans la ligne des non-alignés vexant le bloc des USA. Parallèlement, en Grèce on a la dictature
des colonels (1973 – 1974). Chypre est donc
tenu par l’ONU mais se rapproche des non-alignés, tout en recevant une
influence d’un pays d’extrême-droite.
Face à cela, les
membres de l’EOKA, proches des Colonels tentent un coup d’État en 1974
sous l’égide de Nikos Sampson. Celui-ci a
pour projet le rattachement à l’Énosis avec purge ethnique derrière. Le coup d’État
échouera, les USA refusant de déstabiliser encore l’île. C’est l’armée turque
qui débarquera à Girne en août 1974 et
envahira le Nord de Chypre pour protéger les populations ottomanes. Face à
cela, la dictature des Colonels tombe. ONU et Turquie arrêtent donc le coup d’État
mais l’action turque sera peu soutenue directement. Seule la Lybie est très
favorable à l’intervention turque. Le problème est qu’au nom de la protection
des populations turques, les armées turques interviennent dans la région de
Famagusta, celle de Guzatyurt et Nicosie.
Cette attitude
turque paniquent les Chypriotes grecs
qui quittent précipitamment le centre du pays et se concentrent dans le Sud.
Depuis lors, la situation est bloquée puisque l’armée turque est toujours sur
les 34% de territoire du Nord. Nicosie devient donc une capitale coupée en
deux. Cependant, l’opposition affirmée de la communauté internationale face à
cette action turque, les USA ont lancé un embargo de trois ans sur les armes en
Turquie ce qui fait désordre au sein de l’OTAN.
Quant au pays
lui-même, c’est toujours la République de Chypre, avec sa constitution de 1960.
Mais selon la définition de Weber
d’un État, cette République ne possède que 63% de son territoire. On parle donc
en général de Chypre Sud et de Chypre Nord, même si le second territoire n’a
pas de reconnaissance par d’autres pays que la Turquie.
Cette démarcation
va marquer la construction des deux régions. Seuls les deux colonies britanniques et la zone
frontalière (appelée aujourd’hui la ligne verte, no man’s land assez large) ne
sont pas concernées par cette zone.
II.
Le question
chypriote et l’Europe du Sud
1.
Deux États (1974 – 2004)
Dés 1975, les Turcs ont fondé un proto-État, la
fédération Turque de Chypre, ainsi que le 15
novembre 1983, la République Turque de Chypre Nord. Cet État n’est reconnu que de la
Turquie, mais possède son administration, son drapeau et son président Rauf Denktas. Avec un embargo américain, cet État
exporte du fromage et des oranges à la Turquie qui l’alimente pour les autres
besoins. Cela pose plein de problèmes (du moyen de s’y rendre aux lignes
téléphoniques). Sur un aspect purement wébérien, on a un État, si ce n’est
l’omniprésence de l’armée turque.
Des réunions ont
quand même finit par évoquer la possibilité d’une réunion de l’île. En effet, un contexte favorable
a permis d’évoquer cette idée : la demande d’entrée de Chypre dans l’UE, la Grèce
qui ne s’opposait pas à l’entrée de Chypre dans l’UE, la fin de la Guerre
Froide où les effets géostratégiques ont changé. N’ayant plus de bloc de l’Est,
on ne risque pas de chambouler les alliances locales.
Les réunions furent
donc organisées autour de l’ONU pour cette réunification. C’est donc surtout sous le
mandat de Kofi Annan de 1997 à 2006 que ce sont déroulés les négociations. Tous les
acteurs ont été mobilisés autour de la table, y compris les dirigeants de
Chypre Nord. Plein de problèmes découlaient : quel système politique
adopter ? Que faire des réfugiés ? … On envisageait un système type Bosnie,
avec deux régions très autonomes mais un gouvernement censé être au-dessus. On
avait une sorte de triple gouvernement, ce qui était en soit un premier défi.
Mais l’autre défi majeur, c’était la démilitarisation de l’île par les
Britanniques mais aussi par les Turcs.
Ces longues années
de négociations ont vu se succéder des « plans Annan » qui furent 5
au total. En 2003, le cinquième plan abouti
à une ouverture pour une potentielle réunification, accélérée par le traité
d’Athènes qui prévoyait l’entrée des 10 nouveaux États dans l’UE. On envisageait cette année-là,
les détails techniques et un calendrier assez lointain pour une progressive
mais lente de réunification. Cependant, cette réunification fut validée par les
États garants (Grèce et Turquie) avec un accord des élites chypriotes. En
revanche, lors du référendum, on a eu un souci. Ainsi en 2003, Chypre ratifie par voix parlementaire
l’adhésion à l’UE du plan Athènes, mais les deux États ont organisés le même
jour un référendum en ce qui concernait le 5° plan Annan. Ce référendum eu lieu
le samedi 24 avril 2004. Mais si
Chypre Nord a voté oui à 65%, Chypre Sud a voté non à 76%. Le
samedi le plan Annan n’est plus possible et le dimanche suivant, Chypre
entre dans l’UE. Les élites européennes avaient parié sur un rapprochement des
deux pays, qui s’est avéré être faux. Situation originale. Cette opposition radicale des populations de Chypre Sud ont provoqué
une grande colère dans les couloirs de l’UE, ce qui a abouti à bloquer les
négociations entre les deux États.
2.
L’européanisation de la crise chypriote (2004 – 2014)
Entre
2004 et 2010, Chypre est devenue une bête
noire pour l’UE.
Les négociations ont été gelées et les tensions sont remontées. Symboliquement,
lorsque le grand prix automobile est arrivé en Turquie, le trophée fut remis
par le Président de Chypre Nord. C’est loin d’être le seul exemple d’occasions
de raviver les tensions.
En revanche, en 2008, les choses commencent à changer. Cette année, Chypre Sud a des
élections qui amènent au pouvoir le parti AKEL et le président Dimítris Khristófias. Ban
Ki Moon, nouveau président de l’ONU en profite pour relancer les
négociations. Nouvelle surprise en 2010, on
découvre que Chypre Nord a élu un président nationaliste, Devis Eroglu, peu enclin au rapprochement.
Nouvelle période d’attente des spectateurs. En 2013,
Chypre Sud a élu le président Nikos
Anastasiadis qui est de tendance conservatrice. De nouveau, les blocages
demeurent.
Cependant, en 2013, on a constaté pour la première fois à Chypre
Sud, une campagne présidentielle s’est centrée sur des thématiques économiques
et sociales et non sur la réunification. Jusqu’alors, Chypre voyait son activité politique
tourner principalement autour de la réunification. En effet, en 2010, la Grèce est touchée violemment par la crise
économique et entraîne Chypre dans son sillage, poussant à mettre de côté la
question de la réunification. Sous perfusion européenne, Chypre Sud se retrouve
dans une situation économique similaire à Chypre Nord sous perfusion turque. En
détresse économique avec une récession depuis 2 ans, Chypre Sud est en
délicatesse. Il lui faut aussi renforcer son État car la mafia russe y sévit
allègrement. Tous ces éléments affaiblissent l’État de Chypre Sud, qui n’était
au départ pas très solide.
Les négociations
sont pour l’instant bloquées, mais c’est principalement parce que les élites
grecques de Chypre redoutent d’être en position de faiblesse dans ces
négociations. Ca signifie donc que sur le fond, cela ne pose guère de problème
aux deux présidents de relancer les négociations.
La situation
actuelle permet de penser qu’une fenêtre d’opportunité apparaîtra en 2014
avec les élections européennes et le risque de récession prolongée de Chypre
Sud. Cette fenêtre peut se prolonger aussi en 2015
avec les élections présidentielles en Chypre Sud. Ce d’autant plus que la
situation est très couteuse pour les deux pays et que le conflit traîne en
longueur. A cela s’ajoute la découverte récente d’hydrocarbures sous la mer. Si
l’exploitation doit se faire, il serait préférable que l’on n’est pas deux pays
qui exploitent ce pétrole, la complexité juridique serait un repoussoir pour
plusieurs entreprises qui exploiteraient cette nappe. Une normalisation
politique serait plus favorable que de faire de cette région un protectorat
constant et la force du statu quo.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire