Lord of war, un des films les plus connus sur les guerres entre warlords.
A.
La « malédiction des ressources »
Dans les
années 1990, on constate statistiquement que
par corrélation, plus un pays possède de ressources naturelles, plus le risque
de stagnation économique est élevé et plus il y a de risques de guerre civile. Il n’y a pas de lien de cause à
effet, mais cela lie les phénomènes. Plus concrètement, on constate que les
mécanismes sont assez différents les uns des autres.
On trouve le
« syndrome du cas hollandais », lorsqu’un pays a des ressources sur son sol, ce
pays exporte beaucoup et en conséquence, sa monnaie s’apprécie (donc sa valeur
monte). Hors plus la valeur monte, moins la compétitivité du pays est élevée et
donc moins on exporte. Ainsi, si on néglige de développer d’autres pans de
production, la seule ressource naturelle ne permet pas de développement à long terme.
Les Pays-Bas ont donc décidé de réinvestir une partie de cette rente dans des
services sociaux et le reste sur un compte de l’État qui doit servir pour les
générations futures.
On trouve aussi le
« système de rente »,
c'est-à-dire tirer de l’argent d’une ressource sans réinvestir les bénéfices.
Du coup, l’argent rentre mais ne produit rien ni emplois, ni modernisation, ni
le reste, … De plus, une telle rente séduit tout le monde et il y a donc
conflit sur la captation de la rente. C’est particulièrement le cas pour la
rente pétrolière. Ce second dépend uniquement de la logique du pouvoir.
B.
Ressources rares ou abondantes et guerres
Peut-on modéliser
le lien entre rareté de la ressource et les guerres ?
Historiquement, on
a souligné que la rareté de la ressource provoquait la guerre. Par exemple, la raréfaction
supposée de la ressource en eau sous-tend des conflits entre groupes, régions
ou encore nations. D’autres guerres sont
cependant liées à l’abondance des ressources. L’idée est que la rente de
cette abondance vaut la peine de se battre pour elle. Ce n’est donc pas la
ressource qui intéresse mais ses bénéfices ou son influence.
C’est autour de la
seconde catégorie que Paul
Collier a tenté de développer la théorie du lucre (greed).
C.
La théorie du lucre et ses critiques
Paul Collier ne
cherche pas à faire des théories sociales autour des ressources, il ne veut que
modéliser mathématiquement le lien entre ressources et guerres. Il a donc pris beaucoup de
données sur les ressources disponibles et les guerres civiles. Toutes ces données empiriques montrent
selon ses études qu’il y a deux grands modèles de déclenchement de la guerre.
Les conflits qui ont à l’origine des griefs sociaux et ceux qui ont à l’origine
des capacités de financement. D’’un coté la révolte est sociale, de l’autre
la guerre se déclare car un des camps a trouvé une source de financement. Selon
ses résultats, c’est le second cas qui est statistiquement le plus courant.
Ainsi les griefs sociaux peuvent s’accumuler et durer dans le temps sans que
cela ne dégénère en conflit. « Ce
qui importe, c’est de savoir si l’organisation est en mesure de se financer.
Dans ce cas, c’est la faisabilité de la prédation qui détermine le risque de
conflit ». « L’analyse
économique considère la rébellion plutôt comme une forme de criminalité
organisée. La rébellion est de la prédation à grande échelle des activités
productives » Extraits de son étude. Cependant, cette analyse pousse à
dire que les agents de la guerre sont simplement mus par l’avidité.
Cette
interprétation implique trois idées.
D’une part les agents locaux ne sont
principalement motivés que par un comportement égoïste et individualiste.
D’autre part, la rente est considérée dans une économie capitaliste comme une
attitude négative puisque l’argent n’est pas réinvesti dans un
développement économique. Du coup, Collier en conclut que le problème de ces
guerres est endogène, que c’est une mauvaise gouvernance locale qui est aussi à
l’origine de ces guerres. Enfin, sa
dernière idée est que ces conflits armés dans les pays du Sud, sont une entrave
au bon fonctionnement de la mondialisation économique, ce qui revient à
faire abstraction de la réalité sur place (des morts aux destructions
matérielles).
Bien évidemment,
cette théorie a été très critiquée par des économistes hétérodoxes qui lient économie et
sociologie, histoire, anthropologie, … Pour eux, on ne peut réduire la guerre à
un pur conflit économique. Ils leur semblent qu’un conflit est
multidimensionnel (identitaire, symbolique, culturel, …), ce qui intuitivement
est évident. Aucun de ces économistes ne
nie l’aspect économique dans la guerre, mais sur l’aspect du déclenchement de
la guerre, dire que l’économie prime, c’est abusif. En revanche, sur le
déroulement de la guerre et sur sa perpétuation, l’aspect économique devient
beaucoup plus pertinent. Mobiliser une ressource dans la guerre, permet par
sa manne de la prolonger. C’est là qu’on constate qu’au fil du temps une guerre
déclenchée sur un motif social finit par devenir une guerre autour d’une
ressource. C’est par exemple le cas des FARC, passés d’une guerre aux griefs
sociaux, à une guerre qui dure et qui va devenir une guerre autour de la drogue
pour se financer. Les FARC ont même en partie oubliés l’origine de leur combat.
2.
Géographie des ressources et typologie des conflits
L’autre élément de
critique, fut que l’analyse de Collier est trop générale. Les géographes et les
géopoliticiens se sont penchés sur cette théorie à leur tour. Ils ont alors
regardé la localisation des ressources et aussi l’échelle locale dont parlait
Paul Collier. Les ressources ne sont déjà pas toutes du même ordre : on a
des ressources minières, d’autres agricoles, … Et elles ne sont pas exploitées
aux mêmes endroits, souvent les cultures illégales se sont faites dans des
peuples marginalisés en périphérie des grands axes politiques. En croisant les deux données, on constate
deux données : L’éloignement spatiale de la ressource et si celle-ci est
diffuse ou concentrée.
·
Lorsque que les ressources sont
proches du pouvoir spatialement et concentrées, c’est souvent là qu’à lieu
un coup d’État.
C’est assez logique, la ressource principale de l’État donne parfois lieu a des
conflits, souvent long d’ailleurs car l’État se mobilise.
·
Si l’espace est proche du
pouvoir, mais qu’il n’y a pas de grande compagnie qui s’en sert pour être
proche du pouvoir, alors on a des conflits plus proches de l’ordre de la
rébellion. C’est
le cas au Salvador, où des milliers de petits producteurs de café sont enrôlés
dans le camp d’un contestataire et cela donna une guérilla.
·
Si la ressource est ponctuelle
mais éloignée spatialement du pouvoir (dans des zones périphériques mises à
l’écart) alors la forme de conflit est plus proche de la sécession. Des groupes décident de devenir
pays indépendants comme en Angola ou le Cabinda mécontent des conditions
d’indépendance du pays ont voulu faire sécession mais étant situés sur une zone
riche en pétrole, l’État n’a pas voulu céder et cela a finit dans un bain de
sang.
·
Si la ressource est diffuse et
spatialement éloignée du pouvoir, on a un phénomène de conflits entre chefs de
guerre. Dès
qu’un chef de guerre met la main sur une ressource, il la déclare la sienne et
prend pied. Dans ce cas, c’est très proche de l’anarchie.
3.
Mondialisation et financement des guerres « locales »
On parle souvent de
guerres de pauvres qui touchent des États périphériques. Pourtant, cela est
fortement contesté. On pense que l’Occident a son importance dans ces guerres
locales en
particulier parce qu’on a intégrés ces pays dans la mondialisation mais en
position de dominés. Alors certes, ce sont des acteurs locaux, mais ils doivent
bien se fournir en armes et cela n’est pas local. La vente des armes vient donc
des pays du Nord. De plus, qui rachète les matières premières qui sont au cœur
des conflits locaux ? Plutôt des multinationales en lien avec les pays du
Nord.
Ainsi,
le Katanga est au cœur de conflits armés. En effet, cette région des grands
lacs qui s’étale en République Démocratique du Congo, en Ouganda et au Rwanda,
est très riche en ressources minières notamment en coltan. La ressource est
très éloignée de la capitale Kinchasa et aussi très éparse dans la région du
Katanga, selon la typologie, on est donc dans une guerre entre warlords. Or il est plus simple de
vendre le coltan à l’exportation vers l’océan indien, en évitant la capitale
Kinchasa. On a donc deux grandes villes qui représentent deux grandes routes du
coltan. Ces villes deviennent des check point de la ressource, sont des lieux
très stratégiques pour les warlords.
Le coltan passe par ces deux villes, traverse le Rwanda ou l’Ouganda pour
arriver dans les ports du Kenya et de la Tanzanie avant de partir en Malaisie
pour y être raffiné, puis dans les pays ateliers et enfin sous sa forme
utilisable dans les multinationales du Nord.
Donc,
on ne peut ignorer que pour des entreprises du Nord ou des pays occidentaux, un
peu de guerre dans cette région favorise le commerce du coltan. En revanche, si
l’instabilité était véritablement conséquente pour perturber le trajet du
coltan, il y aurait une condamnation probablement plus stricte de ce conflit.
Ce sont donc des
conflits localisés mais qui prennent place dans un contexte de mondialisation
contemporaine. De telles guerres ne pourraient être possibles sans cette
mondialisation. Ces guerres de ressources sont donc d’autant plus nombreuses et
durables qu’elles perdurent aujourd’hui et même s’accentuent.
Terres rares
Géopolitique
des minerais, exemple des « petits métaux »
Les minerais sont
un bon sujet pour une géopolitique des ressources. En effet, on craint une
rareté stratégique de ces métaux face à une demande en croissance. Pour les
géologues, du Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM), il existe
trois notions importantes : le potentiel (on connaît l’existence du minerai), la réserve (on estime la quantité du
minerai et ces conditions d’extraction pour en calculer le coût, c’est donc une
notion éminemment économique) et enfin
le gisement (la ressource naturelle est exploitable et rentable). En termes de potentiel et de
réserves, il n’y a pas de rareté des minerais. En revanche, il y a un problème
sur les gisements qui sont très concentrés géographiquement et très concentrés
dans les mains de quelques multinationales. La question est donc de savoir non
pas si le minerai est rare, mais s’il est rentable ou non.
Dans les métaux, on
distingue deux grandes familles : les métaux classiques et les métaux
high-tech. Les métaux
classiques ont trois sous-catégories : lourds (mercure, chrome, …) mais
provoquant des problèmes environnementaux donc en chute économique ;
ferreux (fer, manganèse, …) qui servent dans les aciers et constants
économiquement ; et les métaux de base non-ferreux (aluminium, cuivre, …).
Dans les métaux high-tech, on a les platinoïdes et les « petits
métaux » (lithium, coltan, cobalt, titane, tantale, rhénium, gallium,
indium, germanium, …).
Le problème
concernant les petits métaux vient donc du couplage de différents évènements.
On a une demande croissante de métaux high-tech, une extraction minière
insuffisante pour répondre à la demande et donc des prix en augmentation. Les
sociétés d’extraction se multiplient donc depuis quelques années, car il y a un
intérêt économique certain. Tout cela provoque des tensions géopolitiques
évidentes.
Sur la question de
la demande, on voit que l’essor de la Chine participe à la hausse des prix et
de la demande de métaux. En revanche, les études de Hocquard, montrent qu’il y a des ères géographiques
minières spécifiques.
Ces pays qui peuvent répondre à l’offre, ne sont pas la Chine mais des régions
comme l’Afrique du Sud, l’Amérique du Sud, l’Océanie ou encore les USA. Pour la
Chine, il faut se placer là où les autres ne vont pas, chez les dictateurs
africains donc. Dans le détail, les ressources sont souvent concentrées dans
quelques régions. Les réserves mondiales connues de mercure sont à 80% en
Europe mais on ne s’en sert plus. Le lithium est principalement concentré
en Bolivie (58% des réserves mondiales). Le platine et le cobalt sont l’apanage
de l’Afrique (89% pour le platine et 60% pour le cobalt).
La stratégie la
plus courante pour les entreprises, c’est l’achat de gisement avant que
quelqu’un d’autre ne vienne l’exploiter. On parle de « ruée sur les
derniers gisements ».
Le mot « dernier » qualifie les derniers gisements connus, il y en
sans doute d’autres ailleurs comme dans les fonds marins. Areva achète les sols
riches en uranium mais n’en exploite presque rien pour le moment. Idem pour la
Chine sur les sols riches en terres rares. Aujourd’hui 150 sociétés contrôlent
80% de la production minière, les 10 premières sociétés détenant 35% de ces
ressources.
Tout cela a aboutit
à un « resource nationalism », le contrôle par l’Etat des ressources
naturelles situées sur son territoire ainsi que des moyens d’extraction et
d’affinage permettant de les transformer en ressources prêtes à l’utilisation
et au commerce international.
Cela se fait en rendant les conditions d’exploitation extérieures plus
difficiles (un protectionnisme qui ne dit pas son nom). Le pays qui a vite mis
en place cette politique c’est l’Australie, plus récemment, le Brésil s’est
remis à se resserrement nationaliste. D’autres pays sans entreprises ou major
minières, mais avec des ressources minérales, ont transformé la fiscalité pour
renégocier les contrats au détriment des multinationales et au profit des Etats
(Zambie ou Argentine par exemple). D’autres pays industrialisent la ressource
pour profiter de la valeur ajoutée (Russie ou Afrique du Sud). Dans le Nord, on
utilise l’argument environnemental pour renégocier les contrats avec les
multinationales (Canada, Alaska). Enfin, pour d’autres pays, on renégocie les
contrats avec les multinationales en arguant du besoin de développement de
certains pays dans l’éducation, la santé, …
Cela
va à des points extrêmes puisque la Chine et la Russie en sont venues à faire
une liste des métaux stratégiques que le pays nationalise. La Chine fixe même
des quotas d’exportation de certains minerais. L’Inde pratique le même style de
politique en augmentant les taxes d’exportation du fer. Idem pour l’Indonésie
qui interdit l’exportation brute du minerai, obligeant les multinationales à
transformer le matériau sur place en créant de l’emploi et en développant le
pays.
Toutes ces
circonstances font que l’accès aux ressources devient plus compliqué et le sera
encore plus dans les années à venir.
Ainsi en Indonésie, sur l’île de Papouasie, les grèves se succèdent localement.
Elles viennent des mineurs qui veulent augmenter leurs salaires et améliorer
leurs conditions de travail, des paysans qui se font spolier et polluer leurs
terres, … A l’inverse, l’entreprise qui exploite la région, Freeport, s’entend
très bien avec le gouvernement indonésien.
On va se concentrer
sur les « petits métaux » ou métaux rares, ou métaux stratégiques, …
La liste est très évolutive,
on rajoute des noms assez régulièrement. On trouve comme noms connus, le
cobalt, le lithium, le titane, le mercure ou le magnésium. Aujourd’hui, on
s’est aussi rendu compte qu’en exploitant au maximum certaines terres on a des
ressources insoupçonnés. Ainsi les terres de cuivre, débarrassées du cuivre,
sont exploitées pour le molybdène et une fois exploitées, on peut en tirer du
rhénium.
Ce qui rend ces
métaux si importants ce sont plusieurs facteurs. D’abord, le nombre de ces
métaux augmentent parce qu’on parvient toujours à recycler et à trouver de ces
métaux dans ce recyclage. De plus, les quantités produites de ces petits métaux
sont très faibles,
de l’ordre de quelques milliers de tonnes par an, ce qui est très peu en
comparaison d’autres ressources. Du coup, si une entreprise s’arrête, les prix
flambent très facilement. De même, si on recycle les produits comme le cuivre
pour faire rhénium, un problème d’extraction du cuivre en Zambie provoque un
arrêt de l’approvisionnement en rhénium chinois. On peut ajouter que ces matériaux sont très concentrés géographiquement
et dans les mains de quelques entreprises. Le rhénium n’est produit que par
deux entreprises : Molymet au Chili et Zhuzhou Kete en Chine. 50
tonnes de rhénium par an sont produites. En 2013, l’or coutait 40 000 $
pour une tonne, et 230 000 $ pour une tonne de rhodium.
De ces complications
de production, les informations et les prévisions pour les marchés financiers sont
très opaques et les métaux rares ne sont pas considérés comme un marché à
terme.
Les usages de ces
métaux servent avant tout dans les nouvelles technologies (cobalt et lithium dans les
batteries en nanotechnologies, gallium dans les films types écran plasma,
titane et rhodium dans les alliages pour l’aéronautique, …) et tout particulièrement dans les
technologies vertes (platinium).
Notre industrie high-tech dépend donc
très fortement des petits métaux qu’on n’a pas chez nous. Certes c’était la
même chose pour le pétrole mais celui-ci était plus présent, dans un système
moins complexe, plus prévisible et moins opaque. Ces minerais sont donc très vulnérables aux risques géopolitiques.
Ainsi,
l’aspect géopolitique se ressent régulièrement. Evo
Morales, considéré comme un paria lors de son arrivée au pouvoir parce
qu’il voulait renégocier les contrats avec les entreprises, est aujourd’hui
très courtisé, en particulier par la Corée du Sud pour accéder au lithium.
Idem, le Japon fait des concessions à la Chine pour assurer son
approvisionnement en terres rares.
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