Géopolitique de l'Afrique 14 - 10 (cours 4, fin)


Frontière trouble entre le Kenya et la Tanzanie.
Chaleur trouble, frontière Kenya-Tanzanie ; Samuel Raison ; Flickr



2.      Les territoires nationaux africains, des territoires malformés

Les territoires africains ne seraient pas viables, voire même handicapant, ce qui favoriserait la fragilité des États africains. Il est évident que les frontières africaines actuelles sont liées au processus de colonisation et à celui de décolonisation. On les aurait construites comme elles sont aujourd’hui car cela devait servir aux logiques coloniales. Ces logiques étaient diverses, il fallait dominer un territoire et contrôler des hommes (tant sur le plan des richesses que sur la force de travail) et exploiter des ressources dans un but exportateur. Ces frontières datent de l’époque des conquêtes coloniales, avec une stratégie classique : former un comptoir puis creuser dans l’intérieur des terres. Sur demande de Bismarck, la conférence de Berlin de 1885 va permettre de fixer les limites des empires occidentaux en Afrique notamment. Dans le principe, on délimite les territoires à partir d’un comptoir côtier et la frontière s’arrêtera soit lorsqu’on rencontre un obstacle naturel, soit lorsqu’on rencontre une autre équipe européenne. Le principe du partage entre puissance est donc défini.
La deuxième vague de définition des frontières se fit lors des indépendances. La fixation de la frontière sera que si un pays est à cheval sur deux empires, il définira ses frontières selon son empire dominant. Si le pays est au sein d’un empire, on lui définira des limites administratives internes à l’empire. On a ainsi parlé de « balkanisation de l’Afrique ». On voit donc se mettre en place des territoires selon un modèle géométrique. Cela fait un pavage plus ou moins régulier. Ces logiques sont assez apparentes d’un point de vue physique. On trouve beaucoup d’États sur la côte ouest de l’Afrique en forme d’« États-tranches » (construits selon la logique de pénétration dans l’intérieur des terres pour lier ressources – port – exportation). Les militaires qui ont définis ces frontières restaient sur la conception prégnante des limites naturelles (comme en Europe : montagnes, fleuves, …) que ce soit entre pays ou entre régions dans un pays. De plus, les frontières sont très rectilignes car dans les zones désertiques on ne trouve pas de frontières naturelles, peu de populations à encadrer, … Sur ce plan là on a donc suivi les repères cosmographiques des latitudes et des longitudes. Ces logiques coloniales ont fait naître la critique de frontières arbitraires, imposées par des colons et très éloignées des conceptions africaines. Ce serait donc pour ça que ça n’irait pas dans les pays africains et qu’ils seraient si fragiles.
Il faut savoir que la frontière est toujours arbitraire puisqu’elle va couper et provoquer des limites en s’imposant dans la vie des hommes. De plus, les frontières africaines ne sont pas si éloignées de la population et des réalités humaines. En effet, les militaires se souciaient de contrôler les territoires que ce soit en divisant une puissance locale rebelle ou bien en affermissant un pouvoir local allié. Ces deux objectifs furent suivis avec des négociations internes lors de la définition des frontières. Ainsi, dans les faits, on a bien vu qu’il y a eu des sondages, des questionnaires posés, … Du coup, aujourd’hui on constate qu’il y a certes une multitude d’ethnies dans chaque État africain, mais on a souvent deux ou trois groupes ethniques dominants, souvent les ethnies côtières qui avaient aider les colons. Parmi les groupes explosés lors du tracé des frontières, on a les Peuls, un peuple nomade présent depuis la Guinée jusqu’à l’Ethiopie. Souvent les peuples nomades ont été explosés. Ceci dit, les Peuls ont plusieurs groupes et de ce point de vue, on a un découpage qui n’est pas si terrible que cela. A l’inverse, les Wolof du Sénégal sont l’ethnie principale et ce fut l’ethnie du bord de mer.



3.      Les territoires traditionnels de l’Afrique

Parmi les arguments qui expliquent les territoires traditionnels plus ou moins explosés, on a, quelques fois, des épisodes où certains territoires furent renforcés et d’autres furent affaiblis.
On a eu de grands royaumes autrefois dirigés par un pouvoir fort. Ces empires se trouvent tout au long de l’Afrique. Suivant la boucle du Niger (entre le Sahara et la forêt équatoriale) dés le IX° siècle, on a eu de nombreux royaumes et empires : l’empire du Ghana fondé sur l’or et les échanges avec le Maghreb au IX° siècle, l’empire du Bornou au XVI° siècle, l’empire du wolof au XVI° siècle, l’empire du Songhaï. Dans l’Est de l’Afrique, on trouve le royaume d’Égypte, l’empire amharique et le royaume du Buganda. Plus dans l’Afrique australe, on distingue le royaume du Rwanda et l’empire du Monomotapa.
A échelle plus petite, on a les routes des nomades qui étaient organisés par tribus. Certains étaient plutôt des éleveurs, d’autres des guerriers qui effectuaient des razzias et revendaient les esclaves, les derniers restant étaient surtout des commerçants : Peuls, Somalis, Massaïs, …
Plus bas encore, on trouve les actuelles ethnies qui reposent souvent sur un regroupement de villages ou de chefferies, parfois un tout petit royaume. Il s’agissait dans tous les cas d’une structure politique très lâche reposant sur une appartenance clanique (on a tous un ancêtre en commun), sur un intérêt politique (défense contre un voisin envahissant), sur une base linguistique (même langue ou langages similaires), sur un fondement religieux (invention d’un culte commun) ou encore sur des modes de vie semblables.
On peut avoir aussi le village ou le regroupement de villages qui consiste en un schéma de points dispersés dans l’espace. On a un centre que forme le village. Autour du village, on trouve les cultures, et autour des cultures ce sont les pâturages. Au-delà des pâturages, c’est la brousse. Plus on s’éloigne, plus le contrôle des hommes est faible. En revanche, cette structure topocentrique du village s’arrête jusqu’au prochain village.

Toutes ces logiques antérieures à la colonisation n’ont rien à voir avec le découpage colonial. C’est d’autant plus vrai qu’il n’y a presque jamais eu de conception de frontière chez les Africains. Il s’agissait de modèles topocentriques ou odologiques. De plus, il y avait des territoires vides et d’autres qui recoupaient plusieurs conceptions territoriales.
A cela, on peut ajouter que les pays africains d’aujourd’hui ne recoupent pas les territoires d’autrefois (ceux-ci n’avaient pas non plus de conceptions frontalières). De plus, les villes d’autrefois ont disparu car les matériaux n’ont pas laissés de ruines de ces anciens empires. Enfin, les colons ont parfois voulu briser d’anciens royaumes. Tout ces éléments combinés ont fait que les colons n’ont pas tenu compte des anciens royaumes, d’autant que plusieurs d’entre eux n’avaient plus de raison d’exister ou risquaient d’induire des rapports féodaux que les Européens n’acceptaient guère.

4.      Les ethnies

L’identité ethnique s’avérait dans l’Afrique précoloniale être une conception politique pour se défendre ou contrôler un territoire. En arrivant, les colons ont renforcé la conception  ethnique dans un souci de meilleure compréhension des peuples africains. Les militaires ont donc créé des catégories de population pour mieux dominer les peuples. Parfois, il y avait des ethnies qui existaient avant l’arrivée des colons et qui furent réifiées. Mais ces ethnies reposant sur des alliances souvent éphémères furent renforcées par les colons sur des critères linguistiques, physiques, religieuses, … Les colons ont même produit des cartes d’ethnies, mais celles-ci n’ont aucune valeur puisque ces ethnies furent parfois créées ex-nihilo et n’avaient qu’une validité temporaire.

Pour Yves Lacoste, en Afrique il faut prendre en compte les antagonismes historiques entre ethnies qui remontent jusqu’à la traite des esclaves. On a donc eu des conflits entre ethnies côtières (qui razziaient) et des ethnies intérieures (qui étaient souvent razziées).
Mais cette interprétation possède ses limites, on a des ethnies historiques qui ont été explosées entre différents États. Certaines de ces ethnies avec des indépendances fortes réclament des changements territoriaux comme le Sud Soudan tout récemment, mais ce genre de situation est très rare.
Autre facteur de déstabilisation, l’instrumentalisation des ethnies dans le cadre politique. Les Hutus et les Tutsis en sont l’exemple type.
Dans le cadre d’un État rentier, il arrive aussi que la redistribution de la rente se fasse après le cadre de la famille, dans le cadre d’une ethnie. Cela crée des ethnies favorisées et d’autres mises à l’écart. Au Nigéria, la guerre du Biaffra opposa les Igbo contre les autres ethnies, dont l’ethnie qui avait pied sur les puits de pétrole mais qui ne touchait aucun bénéfice de la rente.

On a donc des pouvoirs, des territoires, et des identités collectives qui sont concurrents et en rivalité les uns entre les autres. Est-il plus important d’avoir une identité ethnique ou nationale ? Idem pour le territoire, celui d’autrefois a une réalité économique mais le découpage administratif peut briser cette logique. Enfin vaut-il mieux obéir au maire de la commune ou au descendant d’un roi local ? Pour les Africains cela dépend de leurs objectifs, il faut parfois combiner les différents systèmes. D’où on a tendance à dire qu’en Afrique, il y a souvent des conflits entre la légalité et la légitimité, ce qui tiraille les individus mais aussi ce qui affaibli le pouvoir légal, trop récent et plus mal connoté que les anciens pouvoirs. Mais quand l’État disparaît, on réalise qu’il y a des autorités à l’échelle locale qui prennent la place de l’État. Dans certains cas, cela apparaît donc comme une chance.


III.                   La dimension territoriale de la faillite

1.      ???

Certains États ne sont vraiment pas aidés par leur géographie (taille, relief, aridité, …) ce qui parfois peut aggraver cette faillite.

On ne peut pas non plus négliger la place des transports. Ainsi, si on a bien des voies ferroviaires construites par les colons, celles-ci relient le port au lieu de production. En-dehors de cela, on a des routes ou des lignes aériennes. A la suite des années 1980 et des PAS du FMI, on a eu des réseaux routiers très mal entretenus. Des réseaux ferroviaires ont fermé ou sont devenus très longs du fait de leur manque d’entretien. Quant aux routes, si elles existent toujours, elles sont de moins en moins praticables. Du coup, il devient difficile de passer d’un bout à l’autre du pays. Il ne reste que l’avion mais qui finalement se contente de survoler le territoire, se limitant plus à des points de contrôle. De ce point de vue, la route permet de relier physiquement des points et de contrôler les alentours de la route. Parfois, il reste les fleuves. Sur place, les gens se déplacent localement à pied ou bien avec des 4×4 mais qui forment des routes parallèles non-contrôlées propice aux trafics en tout genre.

2.      Des frontières qui perdurent

Les frontières sont donc accablées de tous les maux et pourtant leurs remises en question sont plus que rares. Depuis les indépendances, on a eu uniquement la création de deux États : Érythrée et Sud-Soudan. On a encore des conflits par endroits avec des États plus ou moins existants comme le Sarawi au Sud du Maroc. Les modifications territoriales sont donc très rares.
A l’Organisation de l’Union Africaine (OUA) fut votée l’intangibilité des frontières issues de la décolonisation. Les raisons ne manquent pas, notamment un risque de déstructuration encore plus grand de l’Afrique.

L’analyste Roland Pourtier se demande si le territoire ne contribuerait pas à forger une identité nouvelle et nationale. En effet, il a constaté sur place que beaucoup de gens portent en pendentif la forme de leur État, ou que la forme du territoire est reprise dans plusieurs cadres iconographiques.

De plus, les frontières ne posent pas que des problèmes, elles ont une certaine utilité. Elles permettent de lever des taxes pour les États mais servent aussi aux marchés parallèles des trafiquants. Typiquement, les Béninois vont acheter leur essence au Nigéria.


IV.                Le territoire est mort, vive le territoire

Ce qu’on voit apparaître en Afrique, c’est qu’il existe plein d’autres territoires hors du territoire national. Souvent c’est d’un point de vue politique, on construit certaines régions pour appuyer le territoire national. Avec un processus de décentralisation qui doit répondre aux besoins locaux de la population. Une logique économique est aussi visible avec des territoires définis pour des projets de développement économique. L’idée est que le bon déroulement économique doit se faire en déterminant un bon territoire.

Le titre de cette partie vient de Frédérique Giraut et de Benoît Antheaume, qui ont écrit qu’on passait à l’âge de la post-modernité territoriale, un cumul et une superposition de multiples territoires qu’ils soient administratifs, qu’ils soient entreprenariaux, … La modernité, c’était des territoires géométriques découpés, la pôst-modernité, c’est cette superposition de considérations territoriales. Cela peut venir du néo-libéralisme qui affaiblirait encore l’État puisqu’il cède des pouvoirs à d’autres territoires. D’autres spécialistes soulignent que l’État abandonne certaines de ces prérogatives pour in fine garder un territoire où il n’agit que pour conserver le monopole de la violence légitime.

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