Frontière trouble entre le Kenya et la Tanzanie.
Chaleur trouble, frontière Kenya-Tanzanie ; Samuel Raison ; Flickr
Chaleur trouble, frontière Kenya-Tanzanie ; Samuel Raison ; Flickr
2.
Les territoires nationaux africains, des territoires malformés
Les territoires
africains ne seraient pas viables, voire même handicapant, ce qui favoriserait
la fragilité des États africains.
Il est évident que les frontières
africaines actuelles sont liées au processus de colonisation et à celui de
décolonisation. On les aurait construites comme elles sont aujourd’hui car
cela devait servir aux logiques coloniales. Ces logiques étaient diverses, il
fallait dominer un territoire et contrôler des hommes (tant sur le plan des
richesses que sur la force de travail) et exploiter des ressources dans un but
exportateur. Ces frontières datent de l’époque des conquêtes coloniales, avec
une stratégie classique : former un comptoir puis creuser dans l’intérieur
des terres. Sur demande de Bismarck, la conférence de Berlin de 1885 va permettre de fixer les limites des empires
occidentaux en Afrique notamment. Dans le principe, on délimite les
territoires à partir d’un comptoir côtier et la frontière s’arrêtera soit
lorsqu’on rencontre un obstacle naturel, soit lorsqu’on rencontre une autre
équipe européenne. Le principe du partage entre puissance est donc défini.
La deuxième vague
de définition des frontières se fit lors des indépendances. La fixation de la
frontière sera que si un pays est à cheval sur deux empires, il définira ses
frontières selon son empire dominant.
Si le pays est au sein d’un empire, on
lui définira des limites administratives internes à l’empire. On a ainsi parlé
de « balkanisation de l’Afrique ». On voit donc se mettre en
place des territoires selon un modèle géométrique. Cela fait un pavage plus ou
moins régulier. Ces logiques sont assez apparentes d’un point de vue physique.
On trouve beaucoup d’États sur la côte ouest de l’Afrique en forme d’« États-tranches »
(construits selon la logique de pénétration dans l’intérieur des terres pour
lier ressources – port – exportation). Les militaires qui ont définis ces
frontières restaient sur la conception prégnante des limites naturelles (comme
en Europe : montagnes, fleuves, …) que ce soit entre pays ou entre régions
dans un pays. De plus, les frontières sont très rectilignes car dans les zones
désertiques on ne trouve pas de frontières naturelles, peu de populations à
encadrer, … Sur ce plan là on a donc suivi les repères cosmographiques des
latitudes et des longitudes. Ces
logiques coloniales ont fait naître la critique de frontières arbitraires,
imposées par des colons et très éloignées des conceptions africaines. Ce
serait donc pour ça que ça n’irait pas dans les pays africains et qu’ils
seraient si fragiles.
Il faut savoir que
la frontière est toujours arbitraire puisqu’elle va couper et provoquer des
limites en s’imposant dans la vie des hommes. De plus, les frontières
africaines ne sont pas si éloignées de la population et des réalités humaines. En effet, les militaires se
souciaient de contrôler les territoires que ce soit en divisant une puissance
locale rebelle ou bien en affermissant un pouvoir local allié. Ces deux
objectifs furent suivis avec des négociations internes lors de la définition
des frontières. Ainsi, dans les faits, on a bien vu qu’il y a eu des sondages,
des questionnaires posés, … Du coup, aujourd’hui on constate qu’il y a certes
une multitude d’ethnies dans chaque État africain, mais on a souvent deux ou
trois groupes ethniques dominants, souvent les ethnies côtières qui avaient
aider les colons. Parmi les groupes explosés lors du tracé des frontières, on a
les Peuls, un peuple nomade présent depuis la Guinée jusqu’à l’Ethiopie.
Souvent les peuples nomades ont été explosés. Ceci dit, les Peuls ont plusieurs
groupes et de ce point de vue, on a un découpage qui n’est pas si terrible que
cela. A l’inverse, les Wolof du Sénégal sont l’ethnie principale et ce fut
l’ethnie du bord de mer.
3.
Les territoires traditionnels de l’Afrique
Parmi
les arguments qui expliquent les territoires traditionnels plus ou moins
explosés, on a, quelques fois, des épisodes où certains territoires furent
renforcés et d’autres furent affaiblis.
On a eu de grands
royaumes autrefois dirigés par un pouvoir fort. Ces empires se trouvent tout au
long de l’Afrique. Suivant la boucle du Niger (entre le Sahara et la forêt
équatoriale) dés le IX° siècle, on a eu de
nombreux royaumes et empires : l’empire du Ghana fondé sur l’or et les
échanges avec le Maghreb au IX° siècle,
l’empire du Bornou au XVI° siècle, l’empire
du wolof au XVI° siècle, l’empire du
Songhaï. Dans l’Est de l’Afrique, on trouve le royaume d’Égypte, l’empire
amharique et le royaume du Buganda. Plus dans l’Afrique australe, on distingue
le royaume du Rwanda et l’empire du Monomotapa.
A échelle plus
petite, on a les routes des nomades qui étaient organisés par tribus. Certains étaient plutôt des
éleveurs, d’autres des guerriers qui effectuaient des razzias et revendaient
les esclaves, les derniers restant étaient surtout des commerçants :
Peuls, Somalis, Massaïs, …
Plus bas encore, on
trouve les actuelles ethnies qui reposent souvent sur un regroupement de
villages ou de chefferies, parfois un tout petit royaume. Il s’agissait dans tous les cas d’une structure politique très lâche
reposant sur une appartenance clanique (on a tous un ancêtre en commun), sur un
intérêt politique (défense contre un voisin envahissant), sur une base
linguistique (même langue ou langages similaires), sur un fondement religieux
(invention d’un culte commun) ou encore sur des modes de vie semblables.
On peut avoir aussi
le village ou le regroupement de villages qui consiste en un schéma de points dispersés dans
l’espace. On a un centre que forme le village. Autour du village, on trouve les
cultures, et autour des cultures ce sont les pâturages. Au-delà des pâturages,
c’est la brousse. Plus on s’éloigne, plus le contrôle des hommes est faible. En
revanche, cette structure topocentrique du village s’arrête jusqu’au prochain
village.
Toutes ces logiques
antérieures à la colonisation n’ont rien à voir avec le découpage colonial.
C’est d’autant plus vrai qu’il n’y a presque jamais eu de conception de
frontière chez les Africains.
Il s’agissait de modèles topocentriques ou odologiques. De plus, il y
avait des territoires vides et d’autres qui recoupaient plusieurs conceptions
territoriales.
A cela, on peut
ajouter que les pays africains d’aujourd’hui ne recoupent pas les territoires
d’autrefois
(ceux-ci n’avaient pas non plus de conceptions frontalières). De plus, les
villes d’autrefois ont disparu car les matériaux n’ont pas laissés de ruines de
ces anciens empires. Enfin, les colons ont parfois voulu briser d’anciens
royaumes. Tout ces éléments combinés ont fait que les colons n’ont pas tenu
compte des anciens royaumes, d’autant que plusieurs d’entre eux n’avaient plus
de raison d’exister ou risquaient d’induire des rapports féodaux que les
Européens n’acceptaient guère.
4.
Les ethnies
L’identité ethnique
s’avérait dans l’Afrique précoloniale être une conception politique pour se
défendre ou contrôler un territoire. En arrivant, les colons ont renforcé la
conception ethnique dans un souci de
meilleure compréhension des peuples africains. Les militaires ont donc créé des
catégories de population pour mieux dominer les peuples. Parfois, il y avait
des ethnies qui existaient avant l’arrivée des colons et qui furent réifiées.
Mais ces ethnies reposant sur des alliances souvent éphémères furent renforcées
par les colons sur des critères linguistiques, physiques, religieuses, … Les
colons ont même produit des cartes d’ethnies, mais celles-ci n’ont aucune
valeur puisque ces ethnies furent parfois créées ex-nihilo et n’avaient qu’une
validité temporaire.
Pour Yves Lacoste, en Afrique il
faut prendre en compte les antagonismes historiques entre ethnies qui remontent
jusqu’à la traite des esclaves.
On a donc eu des conflits entre ethnies
côtières (qui razziaient) et des ethnies intérieures (qui étaient souvent
razziées).
Mais cette interprétation
possède ses limites,
on a des ethnies historiques qui ont été explosées entre différents États.
Certaines de ces ethnies avec des indépendances fortes réclament des
changements territoriaux comme le Sud Soudan tout récemment, mais ce genre de situation
est très rare.
Autre facteur de
déstabilisation, l’instrumentalisation des ethnies dans le cadre politique. Les Hutus et les Tutsis en sont
l’exemple type.
Dans le cadre d’un État
rentier, il arrive aussi que la redistribution de la rente se fasse après le
cadre de la famille, dans le cadre d’une ethnie. Cela crée des ethnies favorisées
et d’autres mises à l’écart. Au Nigéria, la guerre du Biaffra opposa les Igbo
contre les autres ethnies, dont l’ethnie qui avait pied sur les puits de
pétrole mais qui ne touchait aucun bénéfice de la rente.
On a donc des
pouvoirs, des territoires, et des identités collectives qui sont concurrents et
en rivalité les uns entre les autres.
Est-il plus important d’avoir une identité ethnique ou nationale ? Idem
pour le territoire, celui d’autrefois a une réalité économique mais le
découpage administratif peut briser cette logique. Enfin vaut-il mieux obéir au
maire de la commune ou au descendant d’un roi local ? Pour les Africains cela dépend de leurs objectifs, il faut parfois
combiner les différents systèmes. D’où on a tendance à dire qu’en Afrique, il y
a souvent des conflits entre la légalité et la légitimité, ce qui tiraille
les individus mais aussi ce qui affaibli le pouvoir légal, trop récent et plus
mal connoté que les anciens pouvoirs. Mais quand l’État disparaît, on réalise
qu’il y a des autorités à l’échelle locale qui prennent la place de l’État.
Dans certains cas, cela apparaît donc comme une chance.
III.
La dimension
territoriale de la faillite
1.
???
Certains États ne
sont vraiment pas aidés par leur géographie (taille, relief, aridité, …) ce qui parfois peut
aggraver cette faillite.
On ne peut pas non
plus négliger la place des transports.
Ainsi, si on a bien des voies ferroviaires construites par les colons, celles-ci
relient le port au lieu de production. En-dehors de cela, on a des routes ou
des lignes aériennes. A la suite des années 1980
et des PAS du FMI, on a eu des réseaux routiers très mal entretenus. Des
réseaux ferroviaires ont fermé ou sont devenus très longs du fait de leur
manque d’entretien. Quant aux routes, si elles existent toujours, elles sont de
moins en moins praticables. Du coup, il devient difficile de passer d’un bout à
l’autre du pays. Il ne reste que l’avion mais qui finalement se contente de
survoler le territoire, se limitant plus à des points de contrôle. De ce point
de vue, la route permet de relier physiquement des points et de contrôler les
alentours de la route. Parfois, il reste les fleuves. Sur place, les gens se
déplacent localement à pied ou bien avec des 4×4 mais qui forment des routes
parallèles non-contrôlées propice aux trafics en tout genre.
2.
Des frontières qui perdurent
Les frontières sont
donc accablées de tous les maux et pourtant leurs remises en question sont plus
que rares.
Depuis les indépendances, on a eu uniquement la création de deux États : Érythrée
et Sud-Soudan. On a encore des conflits par endroits avec des États plus ou
moins existants comme le Sarawi au Sud du Maroc. Les modifications
territoriales sont donc très rares.
A
l’Organisation de l’Union Africaine (OUA) fut votée l’intangibilité des
frontières issues de la décolonisation. Les raisons ne manquent pas, notamment
un risque de déstructuration encore plus grand de l’Afrique.
L’analyste Roland Pourtier se demande
si le territoire ne contribuerait pas à forger une identité nouvelle et
nationale. En
effet, il a constaté sur place que beaucoup de gens portent en pendentif la
forme de leur État, ou que la forme du territoire est reprise dans plusieurs
cadres iconographiques.
De plus, les
frontières ne posent pas que des problèmes, elles ont une certaine utilité. Elles permettent de lever des
taxes pour les États mais servent aussi aux marchés parallèles des trafiquants.
Typiquement, les Béninois vont acheter leur essence au Nigéria.
IV.
Le territoire est
mort, vive le territoire
Ce qu’on voit
apparaître en Afrique, c’est qu’il existe plein d’autres territoires hors du
territoire national.
Souvent c’est d’un point de vue politique, on construit certaines régions pour
appuyer le territoire national. Avec un processus de décentralisation qui doit
répondre aux besoins locaux de la population. Une logique économique est aussi
visible avec des territoires définis pour des projets de développement
économique. L’idée est que le bon déroulement économique doit se faire en
déterminant un bon territoire.
Le titre de cette
partie vient de Frédérique Giraut et de Benoît Antheaume, qui ont écrit qu’on passait à l’âge de la post-modernité
territoriale, un cumul et une superposition de multiples territoires qu’ils soient administratifs,
qu’ils soient entreprenariaux, … La modernité, c’était des territoires
géométriques découpés, la pôst-modernité, c’est cette superposition de
considérations territoriales. Cela peut venir du néo-libéralisme qui
affaiblirait encore l’État puisqu’il cède des pouvoirs à d’autres territoires. D’autres spécialistes soulignent que l’État
abandonne certaines de ces prérogatives pour in fine garder un territoire où il
n’agit que pour conserver le monopole de la violence légitime.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire