Ni la mer, ni la ville ne sont vraiment sures à Mogadiscio.
Les États
faillis
I.
L’Etat failli
La notion émerge vers 1990 sous le coup de quelques grandes
institutions de développement
dont la London School of Economics (LSE) et la Banque Mondiale. Le but est de définir des pays qui toucheraient
des aides des grandes institutions pour se stabiliser. Il faut donc mesurer le
niveau de développement avec des critères économiques, d’autres géographiques,
… Sur cette définition, les USA y
ajoutent une notion sécuritaire et de ???. Du coup, dès 2001, ces États apparaissent comme une menace
globale plus ou moins relié à Al Qaïda. Enfin,
depuis 1990, les États faillis sont de plus
en plus nombreux selon ces critères.
Le concept est très
américain car on trouve dans les traces théoriques chez William Zartman qui a publié L’effondrement de l’État en évoquant le cas de la Somalie principalement.
L’auteur s’intéresse à l’État sur le plan de la souveraineté, de la sécurité et
de l’identité. Un de ses amis politologues américains qui travaille sur le
Libéria et la militarisation progressive, va parler d’État faible. Enfin, cette notion se développe aussi dans
les couloirs de la diplomatie et des institutions internationales. Pour autant, on manque de précision sur le
concept. On considère entrer dans cette définition le Cambodge, Haïti, la Colombie,
l’ex-Yougoslavie, … Selon la LSE, l’État faible, c’est un État effondré,
situation où l’État ne peut assurer ses fonctions de base (dont la sécurité
intérieure et extérieure) bien qu’il dispose théoriquement du monopole de la
violence légitime. L’aspect sécuritaire est important, ces pays apparaissant
dangereux car fragilisés.
Avant l’État
faillis, on a d’autres stades des États : États en crise (en danger d’effondrement car
soumis à un stress aigu), État fragile (susceptible d’entrer en crise) ou
encore États nations (ceux qui sont loin d’être en crise).
En
France, le terme apparaît dans certaines directives du ministère de l’intérieur sous la direction de Michelle Alliot-Marie. Mais le terme est peu usité
car en qualifiant ainsi les États, on leur accole une mauvaise image qui peut
leur nuire. Plusieurs États et
institutions refusent donc ce terme ou alors l’utilise dans un sens beaucoup
plus flou pour ne pas le stigmatiser. On dit par exemple, pays en situation
de fragilité.
Des cartes et des
index ont été produits en utilisant des indicateurs qui permettraient de
mesurer la vulnérabilité d’un État
(progression démographique, criminalisation de l’État, inégalité de l’accès aux
biens, …). D’autres institutions refusent de donner les critères de mesure,
mais cela change très régulièrement. Techniquement, on peut mesurer des pays
entre eux.
De ces cartes, on
constate qu’on vit globalement dans un monde où les structures politiques
évolues et sont en construction.
Les États très solides, il n’y en a qu’un : la Finlande. Les États stables
sont un peu plus nombreux : Norvège, Suède, Danemark, Irlande, Islande,
Canada, … Les plus mauvais élèves étant concentrés en Afrique subsaharienne et
un peu au Moyen-Orient. En 2012, les pires
élèves ne sont que deux, République Démocratique du Congo et Somalie. Au final
on constate 97 pays orange (classifiés « warning ») et 32 pays rouges (classifiés « alert »).
Selon
les critères pour avoir un État faillis il faut, une décolonisation mal menée,
une malgouvernance chronique ou encore un fond de vulnérabilité économique,
sociale et environnementale. Parfois, sont ajoutés des facteurs extérieurs qui
contestent l’autorité de l’État par une ingérence extérieure (multinationales,
…) ou par une confrontation (ethnies armées, …).
Tous ceux qui ont
une approche environnementaliste de l’État estiment qu’il y a un modèle de l’État
du type État wébérien et principalement occidental. Leur solution est alors de
reconstruire l’État avec des opérations de state
building
(nomination d’un nouveau personnel, aides financières pour réimplanter
ministères, élections, …). On trouve aussi dans ces opérations des actions plus
humanitaires.
Pour d’autres,
cette approche est inefficace car on se contente d’injecter de l’argent dans
des institutions gangrénées. Il vaut
alors mieux établir une politique d’État hybride. On ne peut pas faire fonctionner
un État wébérien sur place sans le modifier pour mieux l’adapter à son
contexte. On fait un État quelque peu différent mais plus efficace.
A cela, des
chercheurs soulignent qu’on ne peut pas non plus avoir une vision idéaliste de
l’Afrique et
qu’on a des classes, des rangs, et d’autres structures anciennes. Sous un État
même modifié, on risque de favoriser certains bords ce qui serait pénalisant
pour les autres. Ils préconisent plutôt
une intégration progressive où on débute du local pour construire un nouvel État.
II.
Quelques exemples d’Etats
faillis
On
va étudier une approche plus de terrain, beaucoup moins théorique. Mais on
constate effectivement sur le terrain des éléments de définition. Après, on
peut se demander à qui cela bénéficie-t-il d’avoir des États faillis. Trois États sont emblématiques de cette définition :
Afghanistan, la Somalie et le Mali.
L’Afghanistan a toujours été convoité par ses
voisins (Russie ou Royaume-Uni à une autre époque) car il est un point de
passage important. Ainsi en 1979, l’URSS
intervient pour soutenir un régime communiste et finit par installer un régime
rouge et dur. L’URSS tente de supprimer les traces de la culture afghane créant
un mouvement d’opposition, les moudjahidines. Aujourd’hui se sont ajoutés des
combattants du djihad. Mais pendant la décennie
1980, l’URSS est en guerre contre les moudjahidines. En 1989, du fait de l’effondrement de l’URSS,
celle-ci se retire et le régime communiste tombe. Cette guerre a aussi
fragilisé l’URSS. Il ne reste alors qu’un État aux mains de chefs de guerre et
de chefs de clans qui s’affrontent.
Dans les années 1990,
apparaissent les Talibans, d’anciens Afghans qui sont partis au Pakistan, qui y
ont fait des études théologiques et qui veulent régler ces conflits. Du coup,
ces étudiants s’organisent et entrent à leur tour en guerre. Ils ont le soutien
financier du Pakistan, qui est intéressé par les terres de son voisin. Les
Talibans imposent finalement la paix par la force, ce qui est bien accueillie
par la population locale puisqu’enfin, en 1996,
le pays se stabilise. En revanche, rapidement, les Talibans installent une loi
religieuse contraignante pour la population (port du voile, suppression des
cultures d’opium, …). Tout cela plaisait aussi aux Occidentaux qui voient
l’opium diminuer et le pays se stabiliser progressivement.
En
revanche, quelques temps plus tard, les Talibans détruisent les bouddhas
de Bâmiyân. C’est un premier signe pour l’Occident. Par la suite, les
Talibans accueillent Oussama Ben Laden,
leader d’Al-Qaïda au grand damne de l’Occident, surtout quand le 11 septembre a
lieu. Du coup, la guerre est déclenchée et le pays karsherisé par les
Américains qui installent un ancien membre de la CIA locale à la tête de l’Afghanistan,
Hamid Karzai. Karzai élu en 2003, réélu (frauduleusement) en 2009. On se questionne donc beaucoup sur ce pays
qui s’est effondré et si le régime actuel peut se pérenniser.
La Somalie a une histoire similaire mais
différente. Le pays naît en 1960 de l’union
du Somaliland (ancienne colonie anglaise) et de la Somalie (ancienne colonie italienne).
Cet assemblage est constitué de clans mais le pays est globalement homogène ce
qui semble en faire un pays viable. En 1969,
ce pays démocratique tombe sous le coup d’État de Mahamed
Siyaad Barre qui instaure une dictature et choisit par défaut de
s’allier à l’URSS. Dictature, despotisme et corruption s’ajoute à un conflit
meurtrier et sans vainqueur qui opposa la Somalie à l’Ethiopie. Quand le
dictateur vieillit, les chefs de clan se réveillent et renversent Barre en 1991. Aussitôt, on est dans une guerre civile où
les chefs de clans deviennent chefs de guerre. A cela, s’ajoute une grande
famine qui pousse l’ONU à intervenir. Mais pour intervenir efficacement, l’ONU
contacte les chefs de guerre, ce qui accroit les conflits entre les chefs de
guerre. Finalement, les casques bleus censés garantir la sécurité des convois
alimentaires sont attaqués par les chefs de guerre, c’est l’armée américaine
qui va soutenir les casques bleus. Cependant, suite à l’épisode de la chute du
faucon noir, les USA sous la pression populaire se retirent, avec l’essentiel
des troupes de l’ONU.
Le
pays devient alors un trou noir avec toujours plein de conflits entre chefs de
guerre, jusqu’au début des années 2000. Pourtant
depuis 2000, on constate qu’une justice est
toujours rendue en Somalie via des tribunaux islamiques. Ils règlent des
conflits entre voisins, des vols, … Ces tribunaux islamiques s’allient aux
marchands et prennent le pouvoir dans la capitale. Ils installent une paix dans
le pays, ce qui est bien vu par la population. En revanche, l’Ethiopie
catholique voisine redoute ce pouvoir et intervient en envahissant la Somalie.
En réponse, les shebabs (les plus jeunes islamistes, principalement radicaux) se
lancent dans le conflit puis récupèrent le pouvoir à Mogadiscio. Du
coup, la mission de l’Union africaine en Somalie (African MIssion union in
SOMalia, AMISOM) intervient (via les armées ougandaise et burundaise) à son
tour. Cette mission repousse progressivement les shebabs hors du pays avec quelques
retours de ce mouvement, comme à Nairobi dans le centre commercial en septembre 2013. Un gouvernement de transition
s’est constitué, sans être vraiment efficace.
Cette
instabilité a longtemps favorisé les autres pays qui bénéficiaient d’avantages,
comme une pêche illégale dans les eaux somaliennes. Les pêcheurs ont donc
changé de profil, devenant pirates pour sauvegarder leurs intérêts mais aussi
car avec un fort taux de chômage, c’est un métier porteur. Depuis 2012, les pirates ont presque disparus par
une flotte armée occidentale qui stabilise la zone maritime mais aussi par un
gouvernement à peu près stable. Ce gouvernement est constitué d’un Parlement
élu indirectement par des chefs de guerre et un Président récemment élu. Les
tribunaux islamiques existent toujours et remplissent leur fonction locale.
Parallèlement,
face aux conflits, la partie anglaise de la Somalie (le Somaliland) ne voulant
pas y être mêlée à voulu faire sécession. Mais la communauté internationale ne
l’a pas reconnu souhaitant rebâtir une Somalie unie. On suivit une sécession du
Puntland et une autre du Jubaland. Des manipulations claniques sont aussi
derrière ces sécessions. Le plus dur sera de réunifier la Somalie et le
Somaliland puisque ce dernier vit pacifiquement en autonomie depuis des années.
Le Mali est aujourd’hui un État failli
alors qu’il y a deux ans, personne ne pensait que cela serait le cas. Les
institutions ont totalement disparues mais l’Occident s’est focalisé sur la
pratique des élections et elles ont perduré. C’est Amadou
Toumani Touré qui a fait tomber un Président-dictateur, mais qui avait
laissé le pouvoir au civil. Touré s’était présenté plus tard comme civil à
l’élection, les avait remportées mais sans se maintenir au pouvoir quand son
élection est arrivée à son terme. Ce prisme a aveuglé les Occidentaux sur la
situation malienne.
De 1970 à 1991,
dictature de Moussa Traoré, suivit d’une
période de transition démocratique grâce à Amadou Toumani Touré. Mais sur
place, la pratique des taxes personnelles est omniprésente, tous les Maliens
doivent payer des taxes supplémentaires et arbitraires. Cela tient aussi au
fait que les gens qui travaillent accumulent les sources de revenus car ils
font vivre plein de personnes autour d’eux, des familles, des amis, … L’autre
souci du Mali, c’est que le trafic de drogue d’Amérique du Sud dépose ses
marchandises en Guinée (aussi État failli) et passe par le Mali pour rejoindre
l’Europe. Cela a favorisé un argent issu de la drogue qui a permis la
constitution de fortune et des allégeances autour de ces personnes. Enfin,
géographiquement, le Mali est divisé entre Nord-Mali et Sud-Mali. Le Sud, ce
sont des populations noires, le Nord des populations arabes et principalement
des Touaregs. Hors ce peuple a un sentiment nationaliste assez fort et réclame depuis
longtemps un État propre au Mali mais aussi à l’Algérie, en Mauritanie, au
Niger et en Lybie. Hors le Mali étouffait les contestations sans pour autant
les régler. Avec la chute de Mouammar Khadafi
en Lybie en 2011, le dictateur avait dans
ses rangs armés des Touaregs qui vont donc rentrer dans leur pays, avec les
armes venues de Lybie. Ils décident de faire des groupements islamistes et
narco-islamistes pour reprendre leurs terres. Leur mouvement va prendre tout le
Nord-Mali devant une armée malienne mal équipée, gangrénée et inefficace. Un
général fait un coup d’État dans la Sud-Mali mais ne règle pas la question
Touareg au Nord. L’État s’est donc effondré à ce moment. En mai 2012, les narco-islamistes se sont construit
un État de plein pied au Mali poussant à l’intervention française. Si les
groupes islamiques sont bien repoussés, cela ne règle pas la question de
l’effondrement de l’État malien qui a réélu un nouveau président, tiré de
l’ancienne classe politique.
Les
objectifs sont donc de reconstruire l’État malien, de faire la paix avec les
touaregs pour calmer le conflit.
Dans les trois cas,
on voit des points communs. D’abord des frontières construites après la
décolonisation sans respecter les logiques des populations sur place. On a donc des frontières
nouvelles, avec des postes frontières qui n’existaient pas pour les populations
locales. Certaines peuplades sont mêmes coupées en deux ou plus. Ainsi, le
peuple Patchou à la frontière entre Afghanistan et Pakistan pourrait être une
solution pour stabiliser la zone. Idem pour les Touaregs partagés entre
Mauritanie, Algérie, Mali, Niger et Lybie.
Autre phénomène, la
présence de différentes ethnies en conflits. Si l’on regarde sous un autre angle, on constate
que ces conflits viennent aussi de réalité économique. Ainsi, dans plusieurs
cas, les intérêts sont l’acquisition de nouvelles terres arables, de ressources
minières ou autres, des lieux d’exportation, …
On peut voir aussi
qu’on a toujours une influence plus ou moins directe de voisins puissants : l’Afghanistan est un jeu
pour le Pakistan, l’Ethiopie se mêle des affaires en Somalie (pour grignoter du
territoire), tout comme le Kenya qui veut se créer un accès libre au port de
Kismaayo.
Enfin, on peut
ajouter l’ingérence de pays étrangers
dans les affaires de ces États, accélérant leur affaiblissement et le mettant
en évidence.
On peut évidemment superposer
plein d’autres constats.
Un taux de chômage élevé ainsi qu’une grande jeunesse de la population locale.
On a donc le métier de guerrier qui se développe comme un autre. Un grand degré
de népotisme et une corruption assez forte dans les institutions étatiques
peuvent aussi jouer. Et puis, il faut un évènement marquant qui forme le
tournant pour le pays vers une très forte instabilité.
En dépit des États
faillis, les populations locales continuent de vivre, malgré les dégâts sur
place. Après l’État, d’autres institutions suppléent à l’État : la
famille, le clan, …
Sur le constat
qu’on peut faire là-bas, on constate une ultra-libéralisation du pays depuis
son effondrement.
Les entreprises d’électricité, celles de la 3G ou encore les aéroports
fonctionnent très bien mais coutent très cher (au vu du niveau de vie local) et
sont très nombreux. De plus, la monnaie somalienne est si instable que pour
payer, les Somaliens payent soit en dollars ou par portable et donc
micro-paiements. Ce système fonctionne bien mais les banques et les entreprises
qui font de très gros bénéfices ne le redistribuent jamais à l’État. Le système
éducatif est entièrement privé, il fonctionne bien, mais mine une partie de la
population ainsi que l’État lui-même. Les
multinationales bénéficient donc aussi de cet état.
Si l’on regarde en
République Démocratique du Congo, on voit à quel point l’État failli profite
aux États voisins
qui peuvent piller les ressources, agiter les peuplades à leurs avantages, …
Enfin, la même question se pose sur l’accaparement des terres, ce système
fonctionnant assez facilement dans un État failli.
Les ONG et l’ONU
sont aussi les bénéficiaires de ces États faillis. La situation de faiblesse des États
permet des interventions, des appels aux dons, … Quant à l’ONU, qui a certes de
très bons sentiments lors de ses interventions, dépense des milliers pour des
résultats très limités, voire nuls. Les aides alimentaires fournis à la Somalie
furent une des causes de conflits entre les chefs de guerre et cela a en plus
appauvrit les producteurs locaux.
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