Sociologie politique de l'Europe du Sud 22 - 10 (cours 3)


Un sujet cher à Plantu.



Les processus méridionaux de l’élargissement de l’Union Européenne


Le problème de l’élargissement de l’Unions Européenne (UE) a longtemps été en direction de l’Europe de l’Est. Aujourd’hui, c’est plutôt les Balkans et la Turquie qui interrogent sur un futur élargissement : Macédoine, Serbie, Monténégro, Turquie et Islande sont candidats. D’autres États attendent d’être validés comme véritables candidats : l’Albanie a candidaté mais n’a pas été encore validée. Les derniers sont potentiellement candidats : Suisse, Bosnie-Herzégovine, Norvège et Kosovo. Présentement, c’est donc l’Europe du Sud qui questionne.


I.                   Les élargissements au Sud

1.      La Grèce, le Portugal et l’Espagne

Après le Bénélux puis l’Allemagne, l’Italie et la France, on a eu l’adhésion à toutes les périodes des pays d’Europe du Sud qui ont posés problème lors des élargissements.

Lorsque la Grèce a adhéré à l’UE en 1981, son adhésion a été longue et difficile. L’accord d’association date du 9 juillet 1961, mais dès le 8 juin 1959, la Grèce avait fait les démarches pour être associée à la CEE. La Grèce posait problème pour son caractère peut démocratique, associé aux autres pays d’Europe. En revanche, il était stratégique d’un point de vue de la Guerre Froide. Son enjeu géopolitique était celui d’un arrimage dans le bloc de l’Est, proche de l’ex-Yougoslavie. Lorsque la dictature en 1967 et 1974 s’installe, les partenariats sont gelés. Sitôt les colonels tombés, le 17 novembre 1974, des élections libres se déroulent et le 26 novembre, le gouvernement élu déclare vouloir adhérer à l’UE. C’est accepté en 1976, on ouvre des sessions de discussion avec différents gouvernements grecs (dont certains étaient critiques vis-à-vis de l’UE). En 1979, on finit  par fixer un calendrier. Le 28 juin 1979, le Parlement grec signe l’accord pour rejoindre l’UE, puis les 9 pays déjà membres votent chacun leur tour et finalement le 25 juin 1980, les Pays-Bas acceptent cette entrée. L’adhésion se fait donc le 1 janvier 1981. Sur la durée, la Grèce a donc mis beaucoup de temps à rejoindre l’UE.
Sur le plan politique, on s’élargissait au sein de l’UE. Sur le plan économique, on prévoyait de faire rattraper la Grèce au PIB moyen de l’UE. Ce serait fait en 2006 et la Grèce est aujourd’hui grâce à l’UE le pays le plus riche des Balkans. Les évènements se sont succédés avec les Jeux Olympiques en 2000, puis son adhésion à l’euro en 2004, …

Pour le Portugal, il s’agissait d’un des principaux États membres d’une construction concurrente de la CEE, l’AELE (Association Européenne de Libre Echange). On a longtemps vu les 6 membres de la CEE opposés aux 7 membres de l’AELE. A cela on peut ajouter le COMECON (conseil d’assistance économique mutuelle) dans les années 1990, qui réunissait les pays d’Europe de l’Est communistes proches de l’URSS. Quand le Portugal entre dans la CEE en 1986, cela fait déjà 9 ans que le Portugal a entamé les conversations pour joindre le projet.

L’Espagne elle aussi a eu cet ancrage dans l’OTAN et la CEE. Son adhésion fut aussi lente et difficile. En 1977, le pays pose sa candidature, juste après le Portugal. Longtemps cela va pêcher car la France est foncièrement opposée à l’Espagne sur les aspects agricoles et piscicoles. Avec l’Espagne on a donc immédiatement des tensions entre les États membres et les États candidats. On a donc eu 8 ans et demi d’attente pour l’Espagne, ce qui est assez long.
En 1986, on assiste donc à une méridionalisation de l’Europe (au départ, la France et l’Italie, puis vient la Grèce et ensuite le Portugal et l’Espagne). Puisque quelques États du Sud moins riches ont été intégrés, alors, les autres États du Sud de l’Europe y voient une porte d’entrée. D’ailleurs le Maroc pose aussi une candidature, poussant l’UE à fixer de nouvelles règles d’adhésion comme celle d’une partie du territoire sur le continent européen. Cette règle exclue de facto le Maroc, mais la Turquie peut encore candidater.
Depuis son adhésion, l’Espagne a rattrapé son retard économique, a aussi eu des Jeux Olympiques, … L’Espagne est aujourd’hui une des 4 têtes principales de l’UE, s’engageant activement dans le processus de l’UE avec nomination de ses dirigeants à la tête de certains organismes européens. En 2005, l’Espagne vote massivement pour une constitution européenne. C’est donc un pilier important de l’UE, très favorable à celle-ci.

On notera qu’il y a eu des confrontations entre les pays du Nord de l’Europe avec ces pays du Sud. Le Royaume-Uni parlait des PIGS (Portugal, Italia, Greece, Spain). Et les pays germaniques de « pays du Club Med ».

2.      Chypre, Malte et la Croatie

En 1990, Chypre et Malte déposent leur candidature qui sont associées à celles des pays de l’Est. Ces candidatures seront encore longues puisque les deux pays n’intègreront l’UE qu’en 2004. C’est d’autant plus difficile que ces pays sont d’anciennes colonies britanniques (avec des morceaux de leur territoire sous commandement britannique). Leur emplacement est aussi stratégique : Malte est proche du détroit entre l’Italie et la Tunisie, tandis que Chypre a pour voisin proche la Syrie. Soulignons aussi l’adhésion d’extrême justesse de Malte en 2003, où uniquement 58% des Maltais votent pour l’adhésion à l’UE, bien loin de l’euphorie des pays précédents. Chypre ratifie aussi l’adhésion en 2003 sans qu’il y ait de vote auprès de la population du fait du territoire divisé en deux. Seul le Sud de Chypre est devenu membre de l’UE. C’est une forme d’échec puisque toute l’île n’a pas rejoint l’UE. Ces adhésions sont plus mitigées que les adhésions précédentes.

La Slovénie fait figure d’exception puisqu’elle a adhéré bien vite à l’UE en 2004 puis à l’euro en 2007. On réalise aujourd’hui que ce pays modèle possède une économie dirigiste plutôt corrompue.

La Croatie qui a ses côtes sur la Mer Adriatique, sous-entendu Méditerranéen, est un État particulier qui a postulé alors qu’il était en guerre en 1992. C’est aussi un État à la forme toute particulière qui est aussi insulaire. Deux États européens sont insulaires : la Grèce et la Croatie. Du fait des problèmes de guerre dans les années 1990, évidemment l’UE a longtemps retardé son adhésion. La candidature fut acceptée en 2004 et les négociations ont commencé en 2005. Son adhésion est donc éminemment politique. Il y a aussi une notion économique puisque la Croatie avait une bonne économie. En 2004, on a donc distingué la candidature croate de la candidature turque sur cet argument économique (ainsi que sur la livraison d’un criminel de guerre). En plus, pour ne rien simplifier, la Slovénie a annoncé qu’elle bloquerait l’entrée de la Croatie au nom d’un conflit frontalier maritime. Finalement, après être passé en commission et avoir négocier, la Slovénie laisse entrer la Croatie.
Si en France, peu importait l’adhésion de la Croatie, dans les Balkans, en Italie et en Slovénie, c’était un enjeu majeur. Ce qui a largement profité à son adhésion, c’est que son économie stable en période d’instabilité économique, lui a permis finalement d’entrée en 2013, devenant le 28° membre de l’UE.

Dorénavant, il ne reste que des pays méditerranéens qui soulèvent des enjeux géopolitiques majeurs pour entrer dans l’UE. Il reste donc trois États balkaniques qui ont déposés leur candidature et qu’on a reconnus comme candidat : Macédoine, Monténégro et Serbie. L’UE leur demande régulièrement une mise aux normes de leur législation avant de véritablement débuter leur intégration. L’Albanie a déposé sa candidature pour rejoindre l’UE en 2009 mais n’est pas encore reconnue comme candidate. Seuls la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo n’ont pas encore candidaté mais sont de potentiels candidats. Le Kosovo n’est pas sans poser de nombreux problèmes, il est membre de la zone euro mais n’est pas reconnu comme État par quelques membres de l’UE (comme l’Espagne).
Quant aux micro-États : Andorre, Monaco, Vatican et Saint-Marin, ils ne sont pas membres de l’UE mais sont compris dans l’espace Schengen, l’euro et autres cadres de l’UE.


II.                La candidature turque

1.      Histoire : 1955 – 2006

La Turquie est un membre important de l’OTAN depuis 1955. Son rôle de pilier se double d’un rôle stratégique. La même année que la Grèce, en 1959, la Turquie demande un accord d’association et l’obtient en 1963 : c’est l’accord d’Ankara. Le président de l’époque déclare alors que la Turquie a vocation à entrer dans l’UE. Depuis lors, pour les élites turques, il est évident que la Turquie entrera dans l’UE mais cela prend du temps. Alors que les élites européennes n’ont cette conception que depuis une vingtaine d’année. En 1987, quand la démocratie s’est véritablement installée, alors elle a déposée sa candidature. Cette « vocation » turque à entrer dans l’UE s’appuie sur les liens historiques, économiques, … En 1989, la commission européenne refuse cette adhésion au nom d’un trop grand retard économique mais aussi un problème politique lié à un conflit violent avec les Kurdes.
Cependant, depuis 1989 et jusqu’à 1999, la Turquie prend son essor économique et arrête aussi le leader turque du PKK, Abdullah Öcalan. Du coup, la Turquie retente sa chance mais la Grèce retarde encore un peu avant d’accepter en 1997. La candidature turque est donc validée par la commission européenne en 1999 et on envisage l’adhésion pour un horizon de 2015. C’est donc tout de suite un processus assez long. En 2002, on ouvre les négociations à la condition de quelques réformes symboliques que la Turquie doit effectuer. Le 17 décembre 2004, les négociations son ouvertes par l’UE. En 2005, les négociations débutent, en 2006, on rédige le premier chapitre.

2.      Une candidature gelée depuis 2007

Premier problème rencontré par la Turquie, les dirigeants européens qui se succèdent ne sont pas toujours d’accord avec leurs prédécesseurs. Ainsi en 2005, Angela Merkel se déclare en faveur d’un « partenariat privilégié », ce qui ne fait pas de la Turquie un membre de l’UE mais lui donne une grande flexibilité dans les droits avec l’UE plus que les autres soutiens. Alors que Jacques Chirac était très favorable à l’entrée de la Turquie, l’UMP y était réticente. En 2004, avec l’élection de Nicolas Sarkozy, la thèse de l’UMP prend le dessus et la France rejoint le camp du « partenariat privilégié ». Avec François Hollande, la position n’a pas trop bougée, l’adhésion turque est possible mais dans un lointain avenir.

Un autre blocage vient directement de la Turquie entre 2006 et 2008. Celle-ci refuse de reconnaître la moitié Sud de Chypre comme indépendante et menace les bateaux à pavillons chypriotes. Ce prétexte est saisi par la Turquie et par l’UE pour geler les négociations sur l’adhésion turque. Malgré tout, la Turquie participe à plusieurs évènements européens (notamment sportifs).
Un autre souci est celle de la question kurde. Cette minorité qui s’étale sur 4 pays (Turquie, Syrie, Irak et Iran) n’avait aucun droit et était même discriminée. Tout récemment, la Turquie a reconnu ???.
Le problème du génocide arménien est aussi un gros travail à faire car la Turquie refuse de reconnaître qu’elle a commis ce génocide et l’UE refuse un pays négationniste sur un fait avéré.

Tous ces soucis font que la question de l’adhésion à l’UE devient pour la Turquie un élément potentiel d’organisation. Si l’UE bloque l’entrée de la Turquie, celle-ci peut se tourner vers les pays d’influence turque d’Asie Centrale. Cependant, les langues même proches sont assez différentes les unes des autres. L’autre option retenue par Ankara serait le néo-ottomanisme, se tourner vers les États issus de l’ancien empire Ottoman. Cela est avéré principalement dans les Balkans où la Turquie s’est grandement impliquée. Mais malgré tout, la plupart des États sortis de l’influence de la Turquie, dont les Balkans, on préfère éviter ce genre de concept. D’ailleurs les États des Balkans sont plutôt prêts à rejoindre l’UE. Une troisième solution serait de se tourner vers le Moyen-Orient. Toujours dans le cadre néo-ottomanisme, la Turquie s’est impliquée en Irak, en Tunisie, en Lybie, en Egypte, … Cette alliance un peu vague aurait pu marcher si les pays s’étaient avérés stables, or ce n’est pas le cas et les résultats de cette politique d’Ankara sont mitigés. Ainsi, la crise syro-libanaise actuelle est plus au détriment de la Turquie qu’autre chose. Mais on voit bien que la Turquie a des capacités diplomatiques importantes et peut se construire des alliances extra-européennes. La reprise des négociations d’adhésion n’est donc pas le seul atout de la Turquie, elle est même possible prochainement.
En 2014, avec les élections européennes, on verra bien si l’UE préfère faire de la Turquie un partenaire spécial ou bien s’il est plus intéressant, même si ce sera long, de l’intégrer dans l’UE.

Lointaine, différente, militarisée, grande et islamique, la Turquie est si éloignée des autres pays européens qu’elle effraie. Elle cumule l’ensemble des problèmes qu’on rencontrait dans les pays précédents. Ce serait un poids lourd de l’UE qui ferait concurrence aux grands pays, ce qui effacerait encore les plus petits pays. De plus, on redoute les relents réactionnaires si la Turquie rejoint l’UE. On redoute tant la paralysie interne des négociations que l’entrée de la Turquie dans l’UE.
Cela provoque donc une relation asymétrique dans les négociations. Les élites turques ont du mal à comprendre pourquoi on les accepte quand il s’agit de candidater mais pas pour intégrer l’UE.

Enfin l’horizon lointain de l’UE est la Méditerranée puisque les États du Maghreb et du Proche-Orient ont déjà des liens avec l’UE. On a entre autres le projet de l’union pour la Méditerranée (Euromed) mais qui est en panne depuis la destitution des deux leaders du projet (Hosni Moubarak et Nicolas Sarkozy).

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