Michel Foucault, un philosophe qu'on retrouve (entre autres) en géographie.
La théorie des
Etats faillis est une notion développée par les Américains, reprise par la
diplomatie américaine puis par l’ONU. Du coup, en France, on est très critique
sur cette notion anglo-saxonne.
Premier point sur
les courants d’analyses, il faut souligner la diversité des situations en
Afrique, éviter tout amalgame qui donnerait une analyse simplificatrice. La diversité est d’ordre multiple (linguistique, climatique,
religieuse, …) en Afrique mais aussi sur différentes échelles. En général, dans
ce continent il faut travailler sur de petits espaces. En effet, avec des
études statistiques biaisées, les chercheurs doivent produire eux-mêmes leurs
résultats et cela prend du temps (pour recenser, pour se déplacer, …). Les
chercheurs travaillent sur des petits espaces et produisent principalement des
analyses qualitatives. Cela se renforce par les grandes différences entre deux
zones à quelques dizaines de kilomètres. Du coup, comment généraliser des
constats aussi précis et locaux ? Cela est quasiment impossible.
A cela, il faut
ajouter les critiques des subaltern
studies, des études qui veulent mettre en évidence les structures de
domination dans la société, même après la décolonisation. Cette attitude est
censée permettre aux chercheurs de donner la parole aux « petits », aux discours locaux et
jusqu’alors ignorés. Cela permet alors de montrer le décalage entre ce discours
et celui du pouvoir (avant et après la décolonisation).
Troisième voie,
sous l’influence de Michel
Foucault, il faut déconstruire les discours et les pensées toutes
faites. Par
exemple, le courant de political ecology
a démontré que le discours de la déforestation sous l’époque coloniale était
faux et a servit surtout à accentuer un processus de contrôle des populations.
L’approche fixiste
contre l’approche processuelle est aussi intéressante à connaître. Ce débat
fait se confronter les deux approches.
Le premier dit que l’ethnie est une réalité et qu’on appartient forcément à une
ethnie. Le second dit que l’ethnie est un terme construit socialement pour se
définir, mais que cette notion est creuse en soi. L’approche fictive est utile
dans certaines analyses, l’approche processuelle s’intéressera plus aux
processus de construction et de déconstruction du vocabulaire.
Issue de l’approche
postcoloniale, les chercheurs jugent que pour considérer un sujet, il faut
prendre en compte les éléments alentours. Par exemple, l’identité française ne peut se
construire qu’en étudiant l’identité africaine, que ce soit contre, pour. Achille Mbembé a publié De
la post-colonie, dans lequel il aborde la notion de violence en Afrique
subsaharienne. Il part de la violence local (du viol au meurtre) puis l’étend à
la violence de l’Etat qui en a hérité du système colonial. Il montre ainsi que
l’Etat africain actuel se dit indépendant des anciens Etats coloniaux alors
même qu’ils conservent et réinventent des discours, des actes de ces pays. C’est un processus de coconstruction. Axelle Kabou dans Et si l’Afrique refusait le
développement ?, montre comment les élites africaines ont adopté
un discours anti-occidental pour refuser les aides de l’Occident et ainsi ne
pas se développer. C’est toujours une coconstruction.
Enfin, il faut
aussi essayer de regarder ce qui va bien en Afrique. Quitter l’afro-pessimisme
pour se demander comment ce continent fonctionne puisqu’il fonctionne malgré
tout.
La barrière, une définition du territoire.
Les crises des États
L’Afrique
subsaharienne apparaît comme la région du monde où les politiques semblent le
moins bien fonctionner.
Depuis des dizaines d’années on tente de qualifier ces situations : États
en crise, crise des encadrements politiques, États voyous, États faillis, États
faibles, … Les trois derniers termes nous viennent d’Amérique et sont souvent
définis de manière floue. De plus, certains chercheurs ont une vue minimaliste
de l’État, tandis que d’autres ont une vision beaucoup plus large, intégrant
des notions culturelles et démographiques dans la faiblesse d’un État.
I.
Quelles sont ces
crises de l’État ?
1.
Quel État ?
Pour le Larousse, c’est une entité
politique constitué d’un territoire délimité par des frontières, d’une
population et d’un pouvoir institutionnalisé.
Pour Max Weber, il s’agit d’une
institution bureaucratique qui revendique avec succès le monopole de la
contrainte physique (ou violence) légitime. Effectivement, l’institution bureaucratique gère la
surveillance et la gestion du territoire. Cela requiert donc une administration
et des fonctionnaires. Cet État doit aussi définir un ordre et veiller au
respect de cet ordre quitte à utiliser la violence, mais une violence légitime.
En effet, les populations gouvernées accordent leur légitimité à cet État. Du
coup, on se rapproche de la définition
de Jean-Jacques Rousseau d’un État, ou l’État
est en fait une délégation de pouvoir de la part des concitoyens.
Enfin on a la
définition westphalienne de l’État, un territoire définit par des frontières. A cela, s’ajoute l’apparition de la notion de « nation ».
Cette nation est l’idée d’un sentiment d’appartenance à une culture, à un pays.
Avec le traité de Westphalie, on voit que les États deviennent les acteurs
principaux dans les relations diplomatiques, on ne passe plus par les Princes
et les grandes familles, les États traitent entre eux.
En Afrique, les États
datent de la décolonisation d’après la Seconde Guerre Mondiale. Les empires coloniaux démantelés,
on a voulu créer des États nations démocratiques et parlementaires, à l’image
des États d’Europe. En Afrique, on a donc presque entièrement des républiques.
On impose donc des États en Afrique parce qu’il s’agissait du modèle dominant
et qu’en faisant ainsi, on leur reconnaissait un statut d’égal. De plus, il
fallait découper les empires coloniaux qui étaient trop grands et qui n’aurait
pas pu se gérer.
On a donc parlé de
greffe des États coloniaux puisque l’on n’avait jamais vu d’échec de ces
modèles. De plus, ça permet de faire table rase du passé africain pour
remodeler un système neuf.
Ce fut d’ailleurs réclamer par une partie des élites africaines qui avaient
étudié en Occident et qui y voyaient une modernité politique.
2.
Quelle crise ?
S’il
y a crise, c’est que quelque part le contenu de l’État a pu dysfonctionner, l’État
n’a peut être pas assuré ses fonctions régaliennes, … Du coup, on a plusieurs
crises différentes, à différents moments depuis 50 ans, de manières inégales, …
On a une crise de
la légitimité des gouvernants et des institutions. Cela se traduit par des
dictatures de dirigeants qui monopolisent et conservent le pouvoir sans
consulter le peuple.
Il n’y a pas de système d’élections libres, transparentes et démocratiques. Le
peuple ne reconnait alors pas les dirigeants légaux, ces dirigeants n’ont pas
de légitimité. Où trouver alors le pouvoir légitime ? Certains y verront
l’armée, d’autres les rebelles, … Pour se maintenir, les dirigeants légaux se
maintiennent par la force et tombent par la force et la violence. Tout cela
produit des instabilités politiques qui parfois aboutissent à des conflits. La
plupart des conflits africains sont internes à l’État et opposent un pouvoir,
souvent vu comme illégitime, à des mouvements d’opposition armés qui s’installent
dans une autre région du pays. Ces conflits passent souvent par la prise de
contrôle des matières premières pour se financer.
Dans
les années 1990, la bande conflictuelle allait
de l’Ethiopie et l’Erythrée à l’Angola, on l’a appelé la « diagonale de la
guerre ». Une autre zone regroupait Libéria, ??? et Côte d’Ivoire (sans compter les débordements
sur les pays voisins). En
contrepartie le Sahel était stable et l’Afrique australe aussi. Aujourd’hui, la
diagonale de la guerre s’est par endroit stabilisée (Angola, Sud Soudan, …)
mais le Sahel est fortement déstabilisé. Sont
restés stables l’Afrique du Sud, les États insulaires et le Nigéria (à nuancer
dans le dernier cas). Sur la périodisation, on a globalement des conflits
qui durent. De plus, ces conflits sont violents poussant à de grands
déplacements de population et de nombreux réfugiés sont comptabilisés.
Pour
le bilan, on a un impact des destructions matérielles, des blocages (de
transports, …), … Tout cela effraye les investisseurs qui s’implantent peu. On
peut aussi souligner les épidémies qui découlent souvent de ces conflits.
D’autre part, les États
sont parfois en crise car ils ne peuvent remplir leurs fonctions régaliennes,
en particulier la sécurité des personnes. Cela produit donc du banditisme et peut aller jusqu’à
des mouvements armés. L’État peut aussi
perdre le contrôle de la justice, ce qui donne un pays sans loi. La
solution est alors de se faire justice soi-même, ou de laisser aller. L’État peut aussi ne pas contrôler son
territoire avec des frontières non-contrôlées, des zones non-aménagées et à
l’écart de toute infrastructure (écoles, hôpitaux, transports, …). Si aucune de ses institutions ne
fonctionnent, on assiste au règne de la « mauvaise gouvernance ».
A
cela peut s’ajouter l’inexistence d’un réseau de transport, de relever les
taxes, de développer une vision économique sur le long terme. Lorsque mêmes les
institutions mondiales ne peuvent plus aider ces pays, ceux-ci s’alimentent par
les Organisations Non-Gouvernementales (ONG) ou les revenus réinvestis des émigrés.
Dans le pire des cas, l’État est mis sous la tutelle des institutions
internationales.
3.
Quelles causes ?
On trouve comme
cause de ces crises, le caractère exogène et récent de ce système politique. On peut alors se demander ce
qu’il y avait avant et comment cela a-t-il fonctionné jusqu’alors.
Autre type
d’argument, si l’État nation africain ne fonctionne pas c’est parce que la
nation ne fonctionne pas en Afrique, il n’y a pas de sentiment d’existence
commune. Cela
n’est pas surprenant puisqu’il y a rarement eu d’unité collective historique en
Afrique, excepté l’ethnie. Or ces ethnies semblent aujourd’hui entrer en
conflit avec les États et peuvent être à l’origine de sanglants conflits.
Autre idée, les
mécanismes démocratiques ne fonctionnent pas. L’État n’apparait pas comme un
garant de l’intérêt collectif.
Cela marcherait uniquement sur des
systèmes clientélistes à l’instar de l’idée de Jean-François
Payard d’une « politique du ventre ». Selon cette idée, on
met au pouvoir celui qui vous donne de quoi manger en redistribuant une part de
la richesse nationale. Mais cette redistribution n’est pas encadrée par la loi,
elle se fait sur des rapports clientélistes : famille, lignage, clanique,
ethnique, régionaux, … Qui redistribue ? Tout le monde, et se faisant si
un individu redistribue à un autre, il crée une relation de dépendance
vis-à-vis de cet individu. On redistribue alors des matières premières, des
emplois, des grades, …
Dans
les années 1980, il n’y a plus d’argent qui
entre dans le pays, à ce moment, la politique du ventre ne colle plus, puisque personne ne peut
redistribuer autant qu’avant. Du coup, on se lance dans l’économie informelle.
L’affaiblissement de l’État servant les intérêts de certains groupes, cela peut
expliquer que ces groupes laissent aller l’État. L’État failli fonctionne donc
tout de même.
Dans
les années 1980, certains États sont tellement
endettés qu’ils ne peuvent même pas effacés les intérêts de leur dette. Du coup
les institutions internationales arrivent et échelonnent un remboursement de la
dette avec des actions à entreprendre en échange des aides financières. Ce sont les Plans d’Ajustement
Structurel (PAS). Ces politiques libérales privatisent des entreprises dans le
pays et font reculer l’État, d’autant plus qu’on impose la réduction de la
fonction publique dans ses effectifs et dans ses missions.
Au final, on s’est
rendu compte que c’étaient des politiques d’échecs. Peut être qu’il y a eu des
conséquences positives mais seulement 20 ans plus tard. En revanche, au moment
même de ces réformes, on n’a pas constaté les investissements tant attendus que ce soit les Investissements
Directs Etrangers (IDE) ni les investissements internes au pays. La récession a
empiré encore plus puisque les emplois se sont raréfiés. A cela, on peut
ajouter que l’État était faible et qu’en agissant ainsi, il a été encore plus
affaibli. Au final, cela a encore plus
fragilisé l’État. On pense que c’était un des buts puisqu’à l’époque, on a
aussi voulu vérifier si sans État, la libéralisation fonctionnerait
d’elle-même, sans succès.
Au même moment, les
pays occidentaux acceptent de venir aider l’Afrique à la condition que des
élections libres soient organisées, les blocs de la guerre Froide se sont
tassés, … Bref autant d’éléments géopolitiques qui font tomber les dictateurs
vieillissants et accentuent l’instabilité du continent.
On
va donc voir après la décomposition de l’État africain, sa recomposition,
comment il se reconstruit de manière similaire tout en ayant changé sous
d’autres angles. Aujourd’hui on a des organisations internationales qui font du
« State building », qui
veulent consolider les bases des États africains.
II.
Crise et
recomposition territoriale
Les dynamiques
politiques à l’œuvre en Afrique vont se traduire dans l’espace par des
décompositions et aussi des recompositions territoriales. L’étude des
territoires sera alors une bonne voie d’entrée pour illustrer le reflet des
déséquilibres politiques.
1.
Quel territoire ?
Ce mot est très
français
puisqu’en anglais un territory
qualifie un espace administratif. Pour les Français, le territoire est une notion développée par Claude
Raffestin en opposition au terme d’espace, support matériel,
ensemble de force physique, chimiques, biologiques, … Le territoire c’est la
façon dont la société investit l’espace en le travaillant, en le transformant
ou en l’investissant d’une charge symbolique. Cette structuration résulte donc
des rapports entre les sociétés. Henri Lefèbvre
dira que l’espace est politique. Ces rapports de pouvoir. Ainsi pour, Raffestin, il n’y a pas que l’État qui structure le
territoire, il y a aussi des signes et des symboles.
Raffestin adepte
des chorèmes voit le territoire comme un quadrillage plus ou moins parfait,
avec des nœuds entre les cases.
Et ces nœuds formeraient ensuite des centres opposés aux périphéries. Enfin on
trouverait dans ces territoires des réseaux et des flux pas toujours matériels
qui se superposent aux autres structures. Du
coup, on a des territoires qui sont affranchis de l’espace réel.
Armand
Frémont lui a travaillé sur l’espace vécu, dans le sens où il a été
approprié par les populations au travers des perceptions, des représentations,
des affects des individus. Ainsi, Frémont a
montré comment la région française dépassait le cadre du territoire
administratif.
Joël
Bonnemaison a travaillé dans le contexte
polynésien, où il a développé l’idée
d’un territoire réticulé (sous forme de réseau maillé, sous forme de routes
qui se croisent) et d’un autre
territoire enchanté (où des lieux deviennent des centres parce qu’ils
représentent religieusement des points importants).
Robert
Sack, sociologue américain se questionne sur la notion
de territorialité
auquel il donne un sens très politique. Pour lui, ce sont toutes les façons
dont un individu ou un groupe vont s’y prendre pour contrôler, maîtriser un
espace. Pour lui, tous les outils sont importants dés l’instant qu’ils
permettent à des hommes de prendre possession de l’espace.
Dans
l’anthropologie du droit, le chercheur Etienne
Leroi s’intéresse non pas au territoire mais aux maîtrises foncières, les manières dont des individus
ou des groupes vont s’y prendre pour contrôler un espace. Il tente de
capter des grands modèles de maîtrise foncière et en trouvent trois. La
première est la maîtrise géométrique du territoire, celui-ci est délimité par
un périmètre. C’est ainsi que fonctionne le territoire pour l’Europe. La
deuxième maîtrise est topocentrique, l’espace s’organise autour de lieu centre
de pouvoir duquel la puissance rayonne en s’affaiblissant avec la distance. Ce
système fonctionne pour certains lieux religieux. En troisième solution,
il définit la maîtrise odologique, qui correspond à la maîtrise des routes et
des trajets ainsi que des repères le long de la route.
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