Géopolitique de l'Afrique 02 - 10 (cours 2)



Michel Foucault, un philosophe qu'on retrouve (entre autres) en géographie.


La théorie des Etats faillis est une notion développée par les Américains, reprise par la diplomatie américaine puis par l’ONU. Du coup, en France, on est très critique sur cette notion anglo-saxonne.

Premier point sur les courants d’analyses, il faut souligner la diversité des situations en Afrique, éviter tout amalgame qui donnerait une analyse simplificatrice. La diversité est d’ordre multiple (linguistique, climatique, religieuse, …) en Afrique mais aussi sur différentes échelles. En général, dans ce continent il faut travailler sur de petits espaces. En effet, avec des études statistiques biaisées, les chercheurs doivent produire eux-mêmes leurs résultats et cela prend du temps (pour recenser, pour se déplacer, …). Les chercheurs travaillent sur des petits espaces et produisent principalement des analyses qualitatives. Cela se renforce par les grandes différences entre deux zones à quelques dizaines de kilomètres. Du coup, comment généraliser des constats aussi précis et locaux ? Cela est quasiment impossible.
A cela, il faut ajouter les critiques des subaltern studies, des études qui veulent mettre en évidence les structures de domination dans la société, même après la décolonisation. Cette attitude est censée permettre aux chercheurs de donner la parole aux « petits », aux discours locaux et jusqu’alors ignorés. Cela permet alors de montrer le décalage entre ce discours et celui du pouvoir (avant et après la décolonisation).
Troisième voie, sous l’influence de Michel Foucault, il faut déconstruire les discours et les pensées toutes faites. Par exemple, le courant de political ecology a démontré que le discours de la déforestation sous l’époque coloniale était faux et a servit surtout à accentuer un processus de contrôle des populations.

L’approche fixiste contre l’approche processuelle est aussi intéressante à connaître. Ce débat fait se confronter les deux approches. Le premier dit que l’ethnie est une réalité et qu’on appartient forcément à une ethnie. Le second dit que l’ethnie est un terme construit socialement pour se définir, mais que cette notion est creuse en soi. L’approche fictive est utile dans certaines analyses, l’approche processuelle s’intéressera plus aux processus de construction et de déconstruction du vocabulaire.

Issue de l’approche postcoloniale, les chercheurs jugent que pour considérer un sujet, il faut prendre en compte les éléments alentours. Par exemple, l’identité française ne peut se construire qu’en étudiant l’identité africaine, que ce soit contre, pour. Achille Mbembé a publié De la post-colonie, dans lequel il aborde la notion de violence en Afrique subsaharienne. Il part de la violence local (du viol au meurtre) puis l’étend à la violence de l’Etat qui en a hérité du système colonial. Il montre ainsi que l’Etat africain actuel se dit indépendant des anciens Etats coloniaux alors même qu’ils conservent et réinventent des discours, des actes de ces pays. C’est un processus de coconstruction. Axelle Kabou dans Et si l’Afrique refusait le développement ?, montre comment les élites africaines ont adopté un discours anti-occidental pour refuser les aides de l’Occident et ainsi ne pas se développer. C’est toujours une coconstruction.

Enfin, il faut aussi essayer de regarder ce qui va bien en Afrique. Quitter l’afro-pessimisme pour se demander comment ce continent fonctionne puisqu’il fonctionne malgré tout. 





La barrière, une définition du territoire.


Les crises des États


L’Afrique subsaharienne apparaît comme la région du monde où les politiques semblent le moins bien fonctionner. Depuis des dizaines d’années on tente de qualifier ces situations : États en crise, crise des encadrements politiques, États voyous, États faillis, États faibles, … Les trois derniers termes nous viennent d’Amérique et sont souvent définis de manière floue. De plus, certains chercheurs ont une vue minimaliste de l’État, tandis que d’autres ont une vision beaucoup plus large, intégrant des notions culturelles et démographiques dans la faiblesse d’un État.


I.                   Quelles sont ces crises de l’État ?

1.      Quel État ?

Pour le Larousse, c’est une entité politique constitué d’un territoire délimité par des frontières, d’une population et d’un pouvoir institutionnalisé.
Pour Max Weber, il s’agit d’une institution bureaucratique qui revendique avec succès le monopole de la contrainte physique (ou violence) légitime. Effectivement, l’institution bureaucratique gère la surveillance et la gestion du territoire. Cela requiert donc une administration et des fonctionnaires. Cet État doit aussi définir un ordre et veiller au respect de cet ordre quitte à utiliser la violence, mais une violence légitime. En effet, les populations gouvernées accordent leur légitimité à cet État. Du coup, on se rapproche de la définition de Jean-Jacques Rousseau d’un État, ou l’État est en fait une délégation de pouvoir de la part des concitoyens.
Enfin on a la définition westphalienne de l’État, un territoire définit par des frontières. A cela, s’ajoute l’apparition de la notion de « nation ». Cette nation est l’idée d’un sentiment d’appartenance à une culture, à un pays. Avec le traité de Westphalie, on voit que les États deviennent les acteurs principaux dans les relations diplomatiques, on ne passe plus par les Princes et les grandes familles, les États traitent entre eux.

En Afrique, les États datent de la décolonisation d’après la Seconde Guerre Mondiale. Les empires coloniaux démantelés, on a voulu créer des États nations démocratiques et parlementaires, à l’image des États d’Europe. En Afrique, on a donc presque entièrement des républiques. On impose donc des États en Afrique parce qu’il s’agissait du modèle dominant et qu’en faisant ainsi, on leur reconnaissait un statut d’égal. De plus, il fallait découper les empires coloniaux qui étaient trop grands et qui n’aurait pas pu se gérer.
On a donc parlé de greffe des États coloniaux puisque l’on n’avait jamais vu d’échec de ces modèles. De plus, ça permet de faire table rase du passé africain pour remodeler un système neuf. Ce fut d’ailleurs réclamer par une partie des élites africaines qui avaient étudié en Occident et qui y voyaient une modernité politique.

2.      Quelle crise ?

S’il y a crise, c’est que quelque part le contenu de l’État a pu dysfonctionner, l’État n’a peut être pas assuré ses fonctions régaliennes, … Du coup, on a plusieurs crises différentes, à différents moments depuis 50 ans, de manières inégales, …
On a une crise de la légitimité des gouvernants et des institutions. Cela se traduit par des dictatures de dirigeants qui monopolisent et conservent le pouvoir sans consulter le peuple. Il n’y a pas de système d’élections libres, transparentes et démocratiques. Le peuple ne reconnait alors pas les dirigeants légaux, ces dirigeants n’ont pas de légitimité. Où trouver alors le pouvoir légitime ? Certains y verront l’armée, d’autres les rebelles, … Pour se maintenir, les dirigeants légaux se maintiennent par la force et tombent par la force et la violence. Tout cela produit des instabilités politiques qui parfois aboutissent à des conflits. La plupart des conflits africains sont internes à l’État et opposent un pouvoir, souvent vu comme illégitime, à des mouvements d’opposition armés qui s’installent dans une autre région du pays. Ces conflits passent souvent par la prise de contrôle des matières premières pour se financer.
Dans les années 1990, la bande conflictuelle allait de l’Ethiopie et l’Erythrée à l’Angola, on l’a appelé la « diagonale de la guerre ». Une autre zone regroupait Libéria, ??? et Côte d’Ivoire (sans compter les débordements sur les pays voisins). En contrepartie le Sahel était stable et l’Afrique australe aussi. Aujourd’hui, la diagonale de la guerre s’est par endroit stabilisée (Angola, Sud Soudan, …) mais le Sahel est fortement déstabilisé. Sont restés stables l’Afrique du Sud, les États insulaires et le Nigéria (à nuancer dans le dernier cas). Sur la périodisation, on a globalement des conflits qui durent. De plus, ces conflits sont violents poussant à de grands déplacements de population et de nombreux réfugiés sont comptabilisés.
Pour le bilan, on a un impact des destructions matérielles, des blocages (de transports, …), … Tout cela effraye les investisseurs qui s’implantent peu. On peut aussi souligner les épidémies qui découlent souvent de ces conflits.

D’autre part, les États sont parfois en crise car ils ne peuvent remplir leurs fonctions régaliennes, en particulier la sécurité des personnes. Cela produit donc du banditisme et peut aller jusqu’à des mouvements armés. L’État peut aussi perdre le contrôle de la justice, ce qui donne un pays sans loi. La solution est alors de se faire justice soi-même, ou de laisser aller. L’État peut aussi ne pas contrôler son territoire avec des frontières non-contrôlées, des zones non-aménagées et à l’écart de toute infrastructure (écoles, hôpitaux, transports, …). Si aucune de ses institutions ne fonctionnent, on assiste au règne de la « mauvaise gouvernance ».
A cela peut s’ajouter l’inexistence d’un réseau de transport, de relever les taxes, de développer une vision économique sur le long terme. Lorsque mêmes les institutions mondiales ne peuvent plus aider ces pays, ceux-ci s’alimentent par les Organisations Non-Gouvernementales (ONG) ou les revenus réinvestis des émigrés. Dans le pire des cas, l’État est mis sous la tutelle des institutions internationales.

3.      Quelles causes ?

On trouve comme cause de ces crises, le caractère exogène et récent de ce système politique. On peut alors se demander ce qu’il y avait avant et comment cela a-t-il fonctionné jusqu’alors.
Autre type d’argument, si l’État nation africain ne fonctionne pas c’est parce que la nation ne fonctionne pas en Afrique, il n’y a pas de sentiment d’existence commune. Cela n’est pas surprenant puisqu’il y a rarement eu d’unité collective historique en Afrique, excepté l’ethnie. Or ces ethnies semblent aujourd’hui entrer en conflit avec les États et peuvent être à l’origine de sanglants conflits.
Autre idée, les mécanismes démocratiques ne fonctionnent pas. L’État n’apparait pas comme un garant de l’intérêt collectif. Cela marcherait uniquement sur des systèmes clientélistes à l’instar de l’idée de Jean-François Payard d’une « politique du ventre ». Selon cette idée, on met au pouvoir celui qui vous donne de quoi manger en redistribuant une part de la richesse nationale. Mais cette redistribution n’est pas encadrée par la loi, elle se fait sur des rapports clientélistes : famille, lignage, clanique, ethnique, régionaux, … Qui redistribue ? Tout le monde, et se faisant si un individu redistribue à un autre, il crée une relation de dépendance vis-à-vis de cet individu. On redistribue alors des matières premières, des emplois, des grades, …

Dans les années 1980, il n’y a plus d’argent qui entre dans le pays, à ce moment, la politique du ventre ne colle plus, puisque personne ne peut redistribuer autant qu’avant. Du coup, on se lance dans l’économie informelle. L’affaiblissement de l’État servant les intérêts de certains groupes, cela peut expliquer que ces groupes laissent aller l’État. L’État failli fonctionne donc tout de même.

Dans les années 1980, certains États sont tellement endettés qu’ils ne peuvent même pas effacés les intérêts de leur dette. Du coup les institutions internationales arrivent et échelonnent un remboursement de la dette avec des actions à entreprendre en échange des aides financières. Ce sont les Plans d’Ajustement Structurel (PAS). Ces politiques libérales privatisent des entreprises dans le pays et font reculer l’État, d’autant plus qu’on impose la réduction de la fonction publique dans ses effectifs et dans ses missions.
Au final, on s’est rendu compte que c’étaient des politiques d’échecs. Peut être qu’il y a eu des conséquences positives mais seulement 20 ans plus tard. En revanche, au moment même de ces réformes, on n’a pas constaté les investissements tant attendus que ce soit les Investissements Directs Etrangers (IDE) ni les investissements internes au pays. La récession a empiré encore plus puisque les emplois se sont raréfiés. A cela, on peut ajouter que l’État était faible et qu’en agissant ainsi, il a été encore plus affaibli. Au final, cela a encore plus fragilisé l’État. On pense que c’était un des buts puisqu’à l’époque, on a aussi voulu vérifier si sans État, la libéralisation fonctionnerait d’elle-même, sans succès.
Au même moment, les pays occidentaux acceptent de venir aider l’Afrique à la condition que des élections libres soient organisées, les blocs de la guerre Froide se sont tassés, … Bref autant d’éléments géopolitiques qui font tomber les dictateurs vieillissants et accentuent l’instabilité du continent.

On va donc voir après la décomposition de l’État africain, sa recomposition, comment il se reconstruit de manière similaire tout en ayant changé sous d’autres angles. Aujourd’hui on a des organisations internationales qui font du « State building », qui veulent consolider les bases des États africains.


II.                Crise et recomposition territoriale

Les dynamiques politiques à l’œuvre en Afrique vont se traduire dans l’espace par des décompositions et aussi des recompositions territoriales. L’étude des territoires sera alors une bonne voie d’entrée pour illustrer le reflet des déséquilibres politiques.

1.      Quel territoire ?

Ce mot est très français puisqu’en anglais un territory qualifie un espace administratif. Pour les Français, le territoire est une notion développée par Claude Raffestin en opposition au terme d’espace, support matériel, ensemble de force physique, chimiques, biologiques, … Le territoire c’est la façon dont la société investit l’espace en le travaillant, en le transformant ou en l’investissant d’une charge symbolique. Cette structuration résulte donc des rapports entre les sociétés. Henri Lefèbvre dira que l’espace est politique. Ces rapports de pouvoir. Ainsi pour, Raffestin, il n’y a pas que l’État qui structure le territoire, il y a aussi des signes et des symboles.
Raffestin adepte des chorèmes voit le territoire comme un quadrillage plus ou moins parfait, avec des nœuds entre les cases. Et ces nœuds formeraient ensuite des centres opposés aux périphéries. Enfin on trouverait dans ces territoires des réseaux et des flux pas toujours matériels qui se superposent aux autres structures. Du coup, on a des territoires qui sont affranchis de l’espace réel.

Armand Frémont lui a travaillé sur l’espace vécu, dans le sens où il a été approprié par les populations au travers des perceptions, des représentations, des affects des individus. Ainsi, Frémont a  montré comment la région française dépassait le cadre du territoire administratif.

Joël Bonnemaison a travaillé dans le contexte polynésien, où il a développé l’idée d’un territoire réticulé (sous forme de réseau maillé, sous forme de routes qui se croisent) et d’un autre territoire enchanté (où des lieux deviennent des centres parce qu’ils représentent religieusement des points importants).

Robert Sack, sociologue américain se questionne sur la notion de territorialité auquel il donne un sens très politique. Pour lui, ce sont toutes les façons dont un individu ou un groupe vont s’y prendre pour contrôler, maîtriser un espace. Pour lui, tous les outils sont importants dés l’instant qu’ils permettent à des hommes de prendre possession de l’espace.

Dans l’anthropologie du droit, le chercheur Etienne Leroi s’intéresse non pas au territoire mais aux maîtrises foncières, les manières dont des individus ou des groupes vont s’y prendre pour contrôler un espace. Il tente de capter des grands modèles de maîtrise foncière et en trouvent trois. La première est la maîtrise géométrique du territoire, celui-ci est délimité par un périmètre. C’est ainsi que fonctionne le territoire pour l’Europe. La deuxième maîtrise est topocentrique, l’espace s’organise autour de lieu centre de pouvoir duquel la puissance rayonne en s’affaiblissant avec la distance. Ce système fonctionne pour certains lieux religieux. En troisième solution, il définit la maîtrise odologique, qui correspond à la maîtrise des routes et des trajets ainsi que des repères le long de la route.

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