Sociologie politique de l'Europe du Sud 15 - 10 (cours 2)


North Nicosia on the Turkish Cypriot side of the Capital, inside the market place.
Peter Marlow, 2004.




La sortie des dictatures et les relations entre État et exception


L’État en Europe du Sud semble donc faible et il ne serait pas bien stabilisé ni normalisé. Par « état d’exception » on entend selon Carl Schmitt, le moment où l’on trouve une suspension du droit. Dans un État qui est solide, l’état d’exception est bref et défini. En revanche, dans un État plus faible, l’état d’exception dure après la fin de la dictature. Ainsi, en Turquie, l’armée dirige toujours l’ensemble Sud-Est du pays. Du coup, en Europe du Sud, on a une sorte de continuation de l’état d’exception plus importante que dans les autres pays européens.


I.                   La « sortie » des dictatures ?

1.      L’hysteresis des dictatures ?

L’hysteresis est une conception qui signifie la perduration d’un ancien système. Par exemple, avec l’effondrement du bloc de l’URSS, on a eu dans les sociétés soviétiques des continuités de certains aspects de l’URSS. Ce phénomène social de perduration d’un ancien système alors qu’on a changé de système se retrouve souvent.
Dans le texte de Nicos Poulantzas, l’auteur se questionne sur la chute des dictatures espagnole, portugaise et grecque qui ont lieu à peu près simultanément et sans excès de violence. On a plusieurs cas de ces révolutions pacifiques : révolution de velours (Tchéquoslovaquie, 1989), révolution des œillets (Portugal, 1974), révolution orange (Ukraine, 2004) ou révolution des roses (Géorgie, 2003). Selon Poulantzas, il y a dans ces régimes des élites sociales qui se sont détachées de la puissance politique dictatoriale. L’idée est qu’avec l’ouverture à la mondialisation de ces régimes, ces élites sociales qui n’étaient pas vraiment proches des dictateurs, se sont encore plus éloignées des régimes dictatoriaux. Mais finalement, les élites ne changent pas vraiment, elles envisagent leurs alliances autrement et s’appuient toujours sur des aspects traditionnels de leur réussite ainsi que sur de nouveaux aspects. Typiquement, en Grèce, les élites politiques sont depuis assez longtemps, la famille Papandreou du coté socialiste, la famille Karamanlis du coté libéral.
Ce constat se retrouve ailleurs, puisqu’on a les mêmes effets dans les pays d’Europe de l’Est. Le système élitaire garde donc une certaine permanence, en dépit des changements de régime ou de l’alternance politique. La circulation sociale des élites est un processus naturellement long mais parfois qui ne change presque pas. Est-ce du à une sortie pacifique et douce de la révolution ? Peut être.

2.      Des sentiers différenciés de la sortie des dictatures en Europe

Tous les États ne sont pas sortis de la même manière des régimes dictatoriaux. En général ils ont mis en place la liberté de la presse, des élections libres et la civilianisation de la société (c'est-à-dire passer d’un régime militaire à un régime civil). Ainsi, en Grèce la civilianisation n’a pas complètement eu lieu. L’armée grecque demeure et n’est pas véritablement contrôlée par l’autorité civile. Son argument pour se maintenir, c’est les tensions politiques avec la Turquie. Elle profite ainsi d’une situation d’exception pour se maintenir. En France, à la V° République, on a un Président qui sort de l’armée, puis un civil prend le pouvoir et en 1981, on a donc bien eu une alternance politique. De ce point de vue, il semble que la France possède véritablement une civilianisation.
En Turquie, la sortie de la dictature est très tardive (vers 1983 et 1989). L’armée est restée omniprésente dans le système politique jusqu’en 2010, date à laquelle a éclaté au grand jour, les guerres de pouvoir entre le parti politique et le réseau des militaires. On parle d’État profond (un État caché dirigé par des hauts fonctionnaires et qui résiste à la civilianisation). Depuis 2011 les procès se succèdent et condamnent ces militaires.
En Espagne et au Portugal, on a une civilianisation plus importante qu’en Orient. En effet, les deux pays n’étant pas en guerre, cela facilite ce processus, surtout avec le désir de faire partie de l’Europe qui a favorisé cela. Il y a toujours des conflits ceci dit sur des ilots égarés entre l’Espagne, le Portugal et le Maroc. Idem pour un Portugal post-dictatorial qui a du aussi être postcolonial. Le pays est passé d’un relatif conservatisme à un système plus modernisé.


II.                La relation particulière entre État et exception

1.      L’état d’exception « archipélagique »

A venir …
Dans le cas français, c’est même l’inverse, on a des demandes d’exceptionalisation tellement l’état d’exception est rare en France. Seul l’Algérie et la Corse ont été placées temporairement en situation d’exception.

2.      Les divergences dans la normalisation

Depuis 2004, sous l’Espagne plurielle de Zapatero, on a vu lors des manifestations contre le mariage homosexuel, lors des Indignés, … La police a agit dans son rôle sans qu’il y ait de répression particulièrement sauvage à moment donné. Cela indique donc une normalisation relativement importante en Espagne.

Dans le cas du Portugal, c’est surtout des difficultés postcoloniales puisque les migrations sont très ancrées dans une logique postcoloniale et les nombreux émigrants portugais continuent de le souligner. On a même des flux en sens contraire : des Angolais viennent au Portugal et avec la crise, des Portugais partent en Angola. Cette situation est très particulière.

Pour la Grèce, État aussi très peu centralisé, la normalisation est faible. On constate une instabilité politique quasi-permanente. D’autant plus que les lois, du fait de cette instabilité, sont peu développées. On peut aussi noter l’insécurité avec la police dont on ne sait pas trop si elle frappe sur les fascistes ou sur les manifestants de gauche. On ne sait pas trop non plus où la police contrôle, où peut-elle intervenir, si elle intervient réellement. On a aussi un trouble sur les attaques des étudiants en 2008. La normalisation aussi est faible au niveau territorial puisque l’armée possède certaines zones maritimes en particulier aux abords de la Turquie.

Enfin, la Turquie est celle qui a sans doute la normalisation la plus faible. En effet, l’État profond, les forces armées turques sont longtemps restées au cœur de pouvoir politique et y demeurent encore. Ces forces contrôlent des parties du territoire (zones militaires, montagnes kurdes, île coloniale chypriote, …). On y trouve plus de 600 000 militaires mais sans certitude.
Si l’Adalet ve Kalkinma Partisi (AKP, parti de la justice et du développement) vient à céder le pouvoir à l’autre parti, le Cumhuriyet Halk Partisi (CHP, parti républicain du peuple), cela va-t-il faire se soulever l’armée ? La question se pose sur le degré de normalisation de la Turquie, des doutes subsistent.


La normalisation a pu être accélérée au travers de l’européanisation. Cependant, malgré ce cadre il y a des divergences entre les différents pays notamment pour Chypre Nord et la Turquie. Il y a dans quelques cas des avancées particulièrement limitées. En arrêtant l’européanisation on risque de stopper cette normalisation, tout comme si on éloigne les dates d’intégration à l’Union Européenne.

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