Géopolitique de l'Asie pacifique 22 - 10 (cours 4, fin)


Dragon wall, Eric Flexyourhead, Flickr.


Plusieurs types de tensions existent aujourd’hui en Asie, même s’il n’est pas rare que ces tensions s’entrecroisent lors de certains évènements.

Les principales tensions en Asie sont d’ordre mémoriel. C’est l’invasion japonaise d’autrefois qui n’a pas été effacée des mémoires. Le souvenir étant globalement négatif (à l’exception de Taïwan), il y a encore de forts ressentiments envers le Japon. Du coup, on voit assez souvent réémerger des tensions autour de cette époque et de la vision de l’Histoire que chaque pays en a. Ainsi, dans les manuels d’histoire japonais et chinois, on a deux interprétations différentes des invasions du Japon, notamment sur la question du massacre du Nankin. Un autre sujet assez lourd entre le Japon, la Chine et la Corée, c’est la question des femmes de réconfort. Ce problème demeure car, selon la Corée et la Chine, les dirigeants japonais ne reconnaissent pas suffisamment l’implication du Japon dans ce sujet très délicat. Ainsi, Shinzo Abe, président entre 2006 et 2007 a raté son premier mandat entre autre par ses négations concernant les femmes de réconfort. Il n’est pas le seul président à nier ce sujet. On a aussi le problème du sanctuaire Yasukuni où sont enterrés des militaires japonais qu’on honore dont certains sont en fait des criminels de guerre (y compris des criminels de guerre de classe A, c'est-à-dire fort peu recommandables, comme l’Amiral Tojo). A chaque fois que les dirigeants se rendent dans ce sanctuaire pour honorer la mémoire de ces héros, cela provoque systématiquement des tensions entre les pays d’Asie pacifique et le Japon. Typiquement, le Président Jun’ichiro Koizumi s’y est rendu de très nombreuses fois durant son mandat entre 2001 et 2006. Pour les Japonais, ce sanctuaire est un lieu historique depuis bien longtemps et il est logique qu’on aille rendre hommage à ses héros. Ils ne nient pas qu’il y a des criminels de guerre mais soulignent qu’ils n’y vont pas spécifiquement pour ces criminels. Ce d’autant plus que le Japon estime avoir déjà fait ses excuses sur ces sujets. Mais pour les autres pays, ces excuses sont insuffisantes et en demandent davantage. Ces points de discorde sont donc directement liés à la Seconde Guerre Mondiale.

D’autres tensions remontent à beaucoup plus longtemps.
Entre la Corée et la Chine, il y a une opposition sur la frontière en Corée du Nord. En effet, selon les Coréens, cette zone est le cœur d’un des royaumes qui a existé autrefois et qui a forgé la nation coréenne, le royaume Koguryo. Il y a quelques années, la Chine a décrété que cet espace était inclue sur le territoire chinois, et l’a inscrit dans ses manuels. La Corée a donc immédiatement réagi en décriant cette analyse. Cela revenait à dire que les origines de la nation coréenne provenaient de Chine.
D’autres désaccords se font sur des appellations territoriales historiques, mais cela est très sensible en dépit de son insignifiance. La mer qui sépare le Japon de la Corée est appelée par les Coréens « Mer de l’Est » et par les Japonais « Mer du japon ». Lorsqu’on remonte aux vieilles cartes d’autrefois, on retrouve plusieurs noms qui sont ressortis par chaque parti pour justifier l’appellation actuelle de cette mer. Mais ces tensions mettent à mal la plupart des projets de coopération y compris économiques. Ce climat de tabous pouvant exploser à tout instant n’est pas favorable aux projets. Un accord trilatéral doit unir la Chine, la Corée et le Japon, mais depuis deux ans, le Japon a été exclu des discussions et seules la Chine et la Corée ont lieu, du fait de la résurgence des tensions.
L’Asie du Nord-Est n’est pas la seule concernée par ce genre de désaccords. Ainsi, du fait de la Konfrontasi entre Indonésie, Malaisie et Philippines, on a cycliquement des tensions qui reviennent autour de la propriété de certains territoires (comme les deux Etats malaisiens que sont le Sabah et le Sarawak, et que l’Indonésie réclame). Cependant, ces tensions sont globalement beaucoup moins dangereuses qu’en Asie du Nord-Est grâce à la mise en place de l’ASEAN. En effet, sur le plan économique, on peut critiquer l’ASEAN mais sur le plan politique, cette initiative a permis de lentement calmer le jeu sur les tensions politiques. Dès 1967, lors de son implantation, l’ASEAN n’a pour but que cette logique politique et elle y parviendra.

Toute une série d’enjeux tournent autour des questions territoriales. Ces tensions ont émergées principalement du fait d’un grand changement dans la région dans les années 1990, le retour de la Chine au premier plan des acteurs locaux. De son succès économique, la Chine se sent plus légitime pour intervenir dans les enjeux locaux et notamment sur des questions territoriales. Elle va donc entrer en conflit avec plusieurs de ses voisins. Cela est renforcé par le fait que pour la première fois, le Japon et la Chine sont tout deux des puissances importantes au même moment. Dans tous les cas, la Chine est toujours opposée à ses voisins principalement autour du Nord de la mer du Chine et du Sud de la mer de Chine.
En mer de Chine du Sud, la Chine estime qu’une très vaste partie de du Sud de cette mer lui appartient. Le problème majeur est que cette zone est très proche des côtes vietnamiennes, malaisiennes, bruneiennes,  indonésienne et philippines. Les pays concernés tracent leur zone maritime depuis leurs territoires actuels, ce qui fragmentent le Sud de la Mer de Chine, mais qui convient globalement à tout le monde. Cet espace maritime serait plein de ressources potentielles mais permettrait aussi d’avoir une présence territoriale et politique dans la région, entre autres pour repousser la présence des bases américaines dans la région. Pour réclamer son territoire maritime, la Chine réclame la possession d’ilots qui lui donnent le droit de réclamer cet espace. La cour internationale de justice a été saisie par les Philippines sur ce sujet et est en train de traiter la question. On a aussi quelques tensions entre les pays locaux du fait d’îlots isolés. Ainsi, l’île Natuna possession indonésienne est réclamée par le Vietnam et la Chine, cette fois-ci dans un intérêt purement économique, les nappes de pétrole sous l’île jouant pour beaucoup.
En mer de Chine de l’Est, le conflit oppose presqu’exclusivement entre le Japon et la Chine. La zone maritime appartenant au Japon est assez vaste mais repose sur la possession par le Japon de certaines îles. Le problème premier est que cela rapproche beaucoup la zone maritime japonaise, des côtes chinoises. A cela s’ajoute le problème des îles Senkaku (pour le Japon) ou Diaoyu (pour la Chine). Au Japon, le maire de Tokyo suit la logique de plus en plus nationaliste du pays et a ouvertement menacé de mettre la main sur les îles Senkaku. Les dirigeants japonais voulant éviter qu’un homme de cette trempe possède les îles, le Japon a décidé de racheter les îles à leur propriétaire en nationalisant les îles. Pour la Chine, c’est une décision du gouvernement japonais pour affirmer leur puissance. Depuis septembre 2012, cette question reste tendue, d’autant que des mouvements nationalistes en Chine et au Japon se sont manifestés. De plus, Taïwan s’y est mêlé réclamant ces îles qui lui appartenaient avant le traité de Shimonoseki. Sur ce plan, la Chine estimant que Taïwan n’est qu’une de leur province, les deux pays sont d’accord pour s’opposer au Japon. Mais la question n’est pas véritablement réglée. Si l’on excepte ces îles récemment mises au jour, on a aussi une vaste zone tampon réclamée tant par la Chine que par le Japon. En dépit de la présence d’hydrocarbures (assez rares) sur cette zone, il s’agit sans doute plus d’une question d’influence politique.
On a aussi un différent autour de petits îlots, les rochers Liancourt (en Occidental), Dokdo (en Coréen), Takeshima (en Japonais). Cela oppose le Japon et la Corée mais pour le moment, personne n’en parle. Comme pour les îles Senkaku, on a occasionnellement des résurgences de ce point de tensions. Ainsi au cours de l’été 2012, Lee Myun Bak, ancien président coréen, s’est rendu sur ces îles à la fureur de Pékin. Là encore, l’enjeu n’est nullement économique, l’intérêt est surtout qu’on peut accroître ainsi le territoire et la zone maritime.
On a aussi un conflit entre la Chine et Taïwan sur les îles Pescadores, qui ont un intérêt stratégique puisque la possession de ces îles permet de contrôler le détroit de Formose.

On trouve aussi des conflits autour de frontières terrestres, souvent liées au problème de décolonisation. Le principal sujet de controverse étant la partie Nord de l’île de Bornéo, la région du Sabah étant réclamé par les Philippines mais appartenant à la Malaisie. Plus récemment on a eu un conflit entre le Cambodge et la Thaïlande autour du temple de Priah Vihéar. Un premier conflit a opposé les deux pays et la loi internationale avait tranché en faveur de la Thaïlande, mais l’accès au temple, appartenait au Cambodge. Du coup, en 2012, les tensions ont ressurgies suite à des difficultés thaïlandaises internes. La Thaïlande a joué du nationalisme pour calmer son jeu intérieur.

On a aussi les différents qui tournent autour des conflits énergétiques. Parfois les conflits territoriaux y sont liés, mais ce n’est pas systématique. De plus, ces conflits peuvent prendre place sans contexte de frontière. Globalement, et depuis peu, la région est importatrice de ressources énergétiques. Mais longtemps, le Sud-Est asiatique était riche en ressources (du pétrole au Myanmar, au Vietnam, en Indonésie, en Malaisie et à Brunei) et le Nord-Est assez pauvre (typiquement le Japon n’ayant aucune ressource a décidé de développer le nucléaire, la Corée a peu de ressource et la Chine a quelques ressources en charbon et des ressources en pétrole mais largement insuffisantes pour satisfaire le pays). Avec sa croissance économique, la région est devenue importatrice nette de pétrole pour supporter son développement. Ce pétrole vient du Golfe mais circule dans les détroits du Sud-Est asiatique (détroit de Malacca, détroit de la Sonde, détroit de Lombok, …). Ces détroits sont donc devenus très stratégiques pour la région et sont autant que possibles sécurisés. Le détroit de Malacca était très stratégique mais très instable. Du coup, en s’organisant, Singapour, la Malaisie et l’Indonésie se sont organisés pour sécuriser ce détroit. L’Asie centrale est aussi un espace important pour les ressources énergétiques. Enfin la Birmanie, devenue fréquentable récemment, devient un allié de choix pour le passage de gazoducs et d’oléoducs alimentant le Sud de l’espace chinois.
La question nucléaire était aussi importante puisque le Japon et la Corée étaient les deux pays les plus dépendants du nucléaire après la France. Mais l’incident de Fukushima a refroidi ces logiques bien qu’un abandon complet de cette option soit aussi inenvisageable. Plus récemment, le Vietnam a décidé de développer sa technologie nucléaire, Japon et Corée sont au premier plan pour fournir les équipements.

On trouve aussi des différents stratégiques dans la région. Au premier plan de cet aspect stratégique, on trouve les USA qui s’opposent à la Chine. Si évoquer une nouvelle Guerre Froide est ridicule, on ne peut nier un relatif affrontement entre les deux puissances. Pour les USA, la zone est pleine d’alliés essentiels : le Japon (dont la force militaire tient surtout à l’armée américaine), la Corée du Sud, Taïwan, les Philippines et la Thaïlande. La Chine est donc encadrée par ses alliés des Américains (surtout si on rajoute le Pakistan). En réponse, la Chine affiche des ambitions d’influence stratégiques dans la région. Avec leur stratégie de rééquilibrage, les USA souhaitent consolider leur présence dans la région. La Chine a peu d’alliés surs dans la région, les liens sont plus faibles.
Les stratégies d’influence passent davantage par des alliances économiques : le Trans-Pacific Partnership (TPP), développé par les USA, est une alliance économique qui exclue la Chine et face à cela, on trouve le Regional Comprehensive Economical Partnership (RCEP) qui correspond à l’ASEAN +6 est où la Chine se trouve, mais pas les USA.

Les points les plus chauds qui demeuraient dans la région étaient Taïwan et la Corée du Nord. Or depuis peu, on constate que Taïwan est devenu un point de tension mais plus aussi chaud qu’auparavant. Le risque d’affrontement direct entre la Chine et les USA sur ce sujet s’est peu à peu effacé, Taïwan s’accommodant plutôt bien de la présence chinoise pour des raisons économiques. Si l’île est très dépendante de l’activité chinoise et vice-versa, sur le plan politique, les oppositions demeurent mais ne sont plus aussi explosives qu’autrefois.
Ne reste donc que la Corée du Nord qui pose un réel souci de sécurité mondial. Même réputé comme étant l’allié chinois, la Chine ne maîtrise pas complètement le régime. Le régime Nord-Coréen apparaît plus comme un allié encombrant pour la Chine. Son attitude téméraire et va-t-en-guerre pourrait être la cause d’un conflit armé. C’est donc la zone la plus instable de la région.

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